vendredi 11 juillet 2025

Bonheurs légers, bonheurs d'été

 

Billets d'humeur








I.

 

Quand il observa à 14 ans qu’il était fort beau, il en fut désarçonné. Il ne connaissait pas le beau et cela jurait avec tout le reste. Et puis, il y avait l’urgence de vivre. C’était très dur et il n’y avait pas le temps pour les mièvreries. 


-        Pourquoi et que faire avec ça ? Cette gueule si inappropriée !


Son père, un boucher prospère et absent, indifférent à la progéniture, filait le parfait amour avec l’alcool, les femmes et la vie. Les mioches, il haïssait et ne retenait pas sa participation fort active dans leur fabrication. Six enfants qu’il oublia aussi vite qu’il les a conçus.


-         C’est elle. Pour se garantir le gîte et le couvert. Au diable !


Il subit ce père absent - grossier et injurieux qui vivait dans la même rue qu’eux, dans une grande demeure au goût fort déplorable - à travers les jérémiades de sa mère.

 

-      Il nous a jetés dans ce taudis, nous six ! Et le voilà qui vit comme un débauché, sous notre nez, dans la luxure. Un monstre.


-       Et pourquoi avoir fait des enfants avec un monstre ? Et six de surcroît !


-        Je ne savais pas !


-       Ma plus jeune sœur a vingt ans de moins que moi. Tu ne savais pas non plus à ce moment-là ?

 

Il n’avait pas l’habitude, mais elle était tout aussi inconsciente. Et lui, beau comme un dieu, sensible à souhait, s’aimant et se haïssant en même, oscillant entre vivre ou se sacrifier. Il s’octroya un quart d’heure de vie et sacrifia tout le reste.

 

-        On a besoin de toi mon fils, c’est toi l’homme de la maison. Qu’il crève le monstre !

-          Elle m’envoie à l’abattoir, j’ai bien compris, se dit-il.

 

Et il y passa les trois-quarts de sa vie. À l’abattoir. À la place du tueur des bêtes, engoncé, lui, dans les eaux de vie, les femmes et autres débauches. 

 


 








 

II.

 

Six heures trente du matin, devant la grande Bleue, peu de gens sur la terrasse et une chaleur prometteuse. Un Cappuccino léger et un croissant aux amandes. Des habitués et des hochements de tête en guise de bonjour. La chaleur montait du bitume et se diffusait de plus en plus. Il n’allait pas s’éterniser, une petite heure, regarder le bassin et sentir le monde. Le monde du matin tôt.

Il écrivit d’un trait un mail explicatif à un ami fantasque qui vivait sur sa propre planète, dans l’ignorance du beau. Le beau avait son monde, cela allait sans dire et il n’en faisait pas partie.

Après cela, il s’emplit les yeux du dehors : la mer, l’éveil progressif de la place, l’arrivée des amateurs de café et autres viennoiseries … Tout l’interpellait, jusqu’aux mendiants, un réseau selon le serveur, femme, enfant et subsahariens. Ce n’était pas directement de la mendicité et le petit lui proposa à l’achat un paquet de mouchoirs.

 

-              Vous avez donné votre argent à une petite mafia, lui dit le serveur.

-              J’ai aidé un enfant, dit-il, légèrement embêté.

 

Il a été rapide et n’avait pas vu que l’enfant était instrumentalisé. Il n’aimait pas ça et en fut contrarié quelques instants. Et puis, son esprit l’orienta vers cet autre qui n’avait plus de cerveau depuis une trentaine d’années et qui se faisait manipuler par des mafieux tout comme l’enfant aux mouchoirs. Perdre tout discernement et toute volonté est l’une des choses les plus graves qui puisse atteindre une conscience. Et la sienne avait toujours été bancale. Un sexagénaire aujourd’hui qui fut un très beau jeune homme et qui rata tout, fort laborieusement. 

Quelle peine de voir ce long corps qui courbe, depuis quelque temps … quand il allait le chercher pour l’emmener l’explorer, justement. Oublieux. Des actes de jeunesse, de bêtises et d’inconscience. Une vie bradée. Et des reptiles autour. 

On devrait apprendre aux adolescents à être un homme. Longuement et en profondeur. Parce qu’en être un est très complexe et que cela exige une conscience et une présence d’esprit fortes et réactives. Être un homme, être un être humain, c’est très vite privilégier la conscience, le sens des responsabilités, le sérieux et le discernement, voire la méfiance. Le travail, bien évidemment et la liberté par-dessus tout. La liberté de ne rien devoir à personne et d’être le seul auteur de son équilibre. Peut-être est-ce trop demander ? 

Non, si les strates ont été posées une à une dans le calme, la pondération et l’observance. 

Rien de tel, trop de mièvreries et des dommages marquants. Sans liberté, il n’y a pas d’hommes ni de femmes, pas d’êtres humains debout.

La mer, devant lui, sut mettre un terme à ses réflexions douloureuses, puisqu’il y était impliqué de près. Je devrais nager, se dit-il. L’eau de mer avait cet immense pouvoir de tout relativiser. S’en imbiber jusqu’à tout oublier. Un liquide amniotique, sans aucun doute.

 

 








III. 

 

Dans l’eau iodée, elle était légère comme une plume et les fonds marins aspiraient tout le négatif de sa tête et de son corps. Une heure de Bleue tous les matins, entre crawls, brasses et battements de jambes. Ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était garder la tête sous l’eau aussi longtemps que l’instinct de survie le permettait et puis, tendre l’oreille à ces étranges bruits diffus … Une passion que cette eau iodée et un désir de saisir le fonctionnement de toute cette dynamique aquatique, cette dynamique naturelle, cette chose qui relève de l’ontologique et de l’existentiel. 

Il était huit heures du matin et elle savait qu’il fallait remettre ces considérations physiques et, par extension, métaphysiques. Le matin, il fallait faire focus sur la nage, les mouvements, les senteurs de l’eau et le plaisir simple. Mais c’était plus fort qu’elle. Une sensibilité qui se déployait d’elle-même, une curiosité ontologique et puis cette habitude de suivre un esprit qui se mouvait dans de multiples méandres. 

Elle sortit de l’eau, se sécha, noua son paréo et rentra chez elle. Sa maison était au bout de son bras et elle avait l’immense chance de connaitre toutes les humeurs de la mer, par tous les temps, sa douceur, mais aussi ses redoutables colères, jusqu’à sa perfidie. 

 

-     Un Cappuccino mousseux, une barre au beurre de cacahuètes et un jour nouveau, se dit-elle. Pourvu que reste saisissante cette bouffée de vie intérieure qui vous fait faire les choses les plus essentielles à votre vie. 

 

Elle sourit. 

 

IV.

 

Je me souviens du sourire de cette femme, de sa tête renversée, de cette délectation qu’elle prenait à être heureuse … Magiques. Des moments magiques, intenses et rares. C’était comme une enfant heureuse, souriante et pleine du désir de vivre. Vivre le moment, vivre le Beau, vivre le bon et vivre l’osmose avec la Bleue, la nature et les siens. 

Une ivresse infinie, belle à voir et touchante et saisissante. Ce plissement des yeux dans le rire et cette propension à donner de soi presque à quatre mains aux siens et à lui. Et elle riait et sa gorge rendait bien son bonheur dans de drôles de bruits. Gloussements. C’était beau.

 

Et puis, plus rien. Comme un mirage, un mensonge, un froid glacial. Elle s’emmura et le bonheur fit place à une tension, à un mal rongeur, à un désespoir imposé. Quelque chose de très laid monta de ses tréfonds et elle n’y put rien et elle en voulut à tous et au monde entier. 

Comme le cri d’une môme heurtée violemment. 

Quand un jour, son homme lui fit remarquer son aigreur pathologique, elle le regarda de travers avec une hargne incisive. Une manière de dire, ce n’est pas moi, mais vous tous qui êtes des lanceurs de lames.

 

-              Je suis traversée. 

 

Elle était dans un creux, un ravin, une dépression chaotique et cela venait de très loin. Des temps immémoriaux où elle se trouva seule dans une honte et une douleur inouïes.

 

On ne peut aider ceux qui se taisent, qui se travestissent, qui se cachent, qui se mentent, qui mentent à la vie et qui sont surtout fragiles comme le verre le plus beau et le plus fin. Elle refusa son dernier enfant parce qu’elle ne comprenait pas son intériorité, ce trait de douleur qui coupait en deux son abdomen et sa tête. Elle refusa, également, toute aide et choisit de partir vite fait bien fait.

 

-              C’est trop douloureux, dit-elle, dans un souffle.

 

Et le rideau fut baissé. Injuste fin. Personne ne comprit rien à rien. Le silence est une des plus graves maladies qui puissent atteindre l’humain. Cloisonnement, refus, portes fermées, une pesanteur tuante. 

Seuls les mots apaisent, ils sont libérateurs, puissamment. Parler et rire, en prescription médicale, au quotidien.














































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