samedi 22 novembre 2025

Les vieilles Folles

 









Un lieu très moderne, artistique mêlant le passé et l’avenir, cosy. Des œuvres d’art contemporain et des gramophones anciens, des pièces collector, d'art aujourd'hui. Aux murs des portraits géants d’artistes des années cinquante, divas et crooners. À l’entrée, un taxi BB du début du siècle dernier, rouge vermillon. Avec au-dessus des feux de signalisation. 

Des salons ici et là, un espace de coworking où je travaillais assez régulièrement, deux restaurants, un jeune chef créatif et le tout ouvert ou séparé par des structures métalliques.

 

J’aimais les soirs, dans ce cadre nouveau. Animé, cosmopolite, coloré. Un personnel fréquemment étudiant aux côtés de professionnels. Des jeunes filles et des jeunes gens souriants et fort agréables.

 

Chris arriva un peu en retard, vu qu’Hagar nous fit changer par deux fois de lieu et d’heure. Elle se résout à nous suivre dans cette folle soirée du 3ème âge, au milieu des épicuriens, des ambitieux et des immortels. Je ne me sentais pas du tout dans la peau d’une sénior, même si la seule manière de durer et d’espérer parvenir à l’étape sénior. De durer et de tirer profit de la manière la plus élégante du grand âge. 



Quel âge avais-je dans ma tête ? Celui du rire, des moments cocasses, du partage, de l’échange intelligent, drôle aussi et, évidemment, du rire en cascades.

 

Hier soir, nous fixâmes définitivement notre réputation de vieilles Folles, du moins dans l’esprit des différents personnels. Ce qui nous rendit hilares.

 

Arrivées à l’heure du rendez-vous avec Hagar, nous occupâmes le premier salon. Un coin tranquille, fort artistique, un salon de cuir profond et de grands coussins fondants. Un grand écran, occupant un large pan des deux grands murs, diffusait sans bruit des informations sous-titrées. Ce n’était pas dérangeant et de toute manière, on ne regardait pas. 

Était-ce l’ambiance feutrée, les abat-jours diffusant une lumière tamisée, qui déplurent à Hagar - qui sortait peu et n’était pas adepte de mondanités ?

Nous changeâmes de place et nous nous installâmes au salon du milieu, servi par un très beau bar américain. Des trentenaires et des quadras occupant de hauts tabourets s’abreuvaient d’eaux de vie raffinées et coûteuses et échangeaient. Un deuxième serveur vint à nous et nous lui dîmes que nous attendions quelqu’un. Ce que nous fîmes savoir un peu plus tôt à la jeune serveuse dans le coin cosy.

Quand le jeune homme plaça devant nous les menus à scanner, Hagar dont le téléphone venait de l’époque galactique me regarda et éclata de rire. Pourtant, nous trois, avions à peu près la même vieillerie, même si celui d’Hagar était assurément un vrai dinosaure. Et des smarts aussi, à côté, mais pas forcément de sortie. Comme si ces fameux téléphones qui feraient pleurer les jeunes d’aujourd’hui nous rassuraient ontologiquement. Hagar du moins refusait de s’en séparer : non, à la ségrégation et au séparatisme des téléphones T-Rex. 

 

Arriva Chris, perdue au loin, entre tous ces lieux ouverts et j’allai vers elle. Elle m’avertit l’après-midi, qu’elle mettrait de la laine, parce qu’elle était frileuse. Or, le Dress code était clair : élégance artistique. Difficile d’allier laine et art dans un lieu pareil. Et je lui répondis que le lieu étant fort chauffé, elle gagnait à mettre un chemisier en-dessous dans la perspective d’ôter le pull-over. Sauf si, évidemment, elle voudrait exposer sa poitrine.

 

Elle vint avec trench, écharpe, et deux pulls en laine, l’un au-dessus de l’autre. Et elle prit soin de lever le premier, pour bien nous montrer l’en-dessous, en plein bar, au milieu de jeunes architectes de la vie, entre verres de liqueur fine, jeune femme à la poitrine remontée on ne peut plus, jupe ras-les-pâquerettes et sourires aguicheurs et prometteurs d’émois à venir.

 

 J’étais hilare et nous n’avions encore rien mangé et encore moins bu. De toute manière, Chris et Hagar étaient abstèmes. Chris, à la rigueur, ne refuserait pas un tout petit verre à l'occasion. Quant à moi, il m'arrivait de temps en temps de trinquer, mais rarement en dehors de mes envies inspirantes.

 

Chris était spécialiste de littérature japonaise. Il était prévu qu’elle nous parle de haikus, de Rashômon et autres contes de Ryûnosuke Akutagawa, des récits brefs et palpitants ; de Torii, ces portails traditionnels japonais qui délimitaient espace profane et sacré, des dieux japonais … 

Et on l’écouta et beaucoup de choses furent dites, un peu pêle-mêle, au milieu de crises de fous rires, à la vue de la tête des différents personnels devant nos exigences multiples. Finalement, nous mangeâmes au restaurant, parce que chacune avait son a priori sur les différents lieux que nous occupâmes – nous nous déplaçâmes trois fois. 

C’était sombre pour Hagar, un peu frisquet pour Chris. Je crois que pour ma part, je m’adaptais et j’avais choisi le lieu en amont. Quand j’y travaillais - quand j'y travaille - au matin, c’était autre chose : calme, ensoleillé, feutré, disposant d’un sky-dôme, dans la partie centrale. 

C’était pour moi une sortie, un soir pluvieux de novembre, premier jour de froid ( l’avant-veille, Hagar s’était baignée, un 13° Celsius, après du 25° depuis octobre ), entre amies aux antipodes les unes des autres, mais qu’unissait l’intelligence et qui aimaient s’écouter.

Après le souper et au moment de payer, nous sortîmes la calculette et chacune paya sa consommation. La carafe d’eau, au prix fort, fut payée l’équivalent de 8 euros et Hagar dit sa désapprobation. Chris, on ne sait toujours pas pourquoi, lui offrit les 8 euros et ce, contre toute attente. Pourquoi, comment, par quel calcul ? 

J’étais aux larmes. Des moments inestimables où chacune laissait couler sa psychologie profonde sans artifice aucun et tout naturellement. J’en ris encore ce matin.

Nous nous accrochons à la vie, dans l’humour, beaucoup d’intelligence et quelques blessures profondes, conscientes ou inconscientes. 

La vie était au rendez-vous, la santé - fantasque quelquefois -, le discours décousu, bondissant ici et là et, de toute évidence, un personnel qui nous nomma les vieilles Folles, tant nous fîmes des remarques, tant nous fûmes exigeantes, tant nous calculâmes la Douloureuse de mille manières erronées, tant j'évoquai le nom de la maîtresse des lieux ...

Hagar garda le don de Chris qui finit par nous offrir trois tisanes au milieu d’êtres in, de nuits d’amour brûlantes extincto, d’oubli et de méconnaissance totale de la mort. 

 

-       Garde le prix de la tisane dans ton escarcelle, me dit Chris, ce matin. Je lui répondis que j’aimais fort les mots.

 

En quittant les lieux vers 23h, le personnel dut souffler. « Pas de place pour les vieilles Folles, ici. » 


Nous y retournerons, fort probablement. À mon retour chez Didon.


 

 


 





jeudi 20 novembre 2025

Mourir, si peu de chose ... 2

 
















-            Bonjour, lança-t-elle.

 

-            Bonjour, répondirent-ils en chœur.

 

Ils souriaient. Elle sentit une vraie bienveillance, mais aussi des yeux qui voyaient au-delà de l’étoffe.

 

-    Je vous observais et je crois que vous êtes frère et sœur et puis, j’ai senti de la vraie connivence entre vous et comme quelque chose de foncièrement bon à l’égard de la nature, des arbres plus spécifiquement.

 

-        Merci, répondit le jeune homme, dans un petit sourire.

 

-    Ne vous étonnez pas de mon intrusion. Il existe encore par ici des personnes qui parlent la langue de l’humain. Et puis, j’ai le temps de m’arrêter pour voir les belles choses. M’adresser à vous fait ma journée. Je vis seule, j’observe, j’ai encore assez d’énergie pour faire partie de ce monde, mais les instances supérieures ont décidé qu’il fallait me mettre en marge, dit-elle en souriant. 


 

Le jeune homme la regarda et la demoiselle, elle, souriait. Elle murmura quelque chose à son frère.


-      Voulez-vous qu’on vous offre un café ? C’est juste là, proposa la jeune fille.

 

-       Je ne dirai pas non, répondit la septuagénaire.


 

Et ils s’attablèrent et ils partagèrent des viennoiseries, du café. Le jeune homme était souriant, mais réservé. La jeune fille, elle, timide de base, était souriante, rougissante, pleine d’énergie altruiste et prête à en découdre avec tout. Son visage d’une beauté latine s’ouvrait de générosité à chaque phrase. 







 

-        Vous me trouvez bizarre ? demanda la dame.


 

-       Non, du tout. Nous avons été élevés par une dame qui parle comme un livre. Donc, vous ne nous étonnez pas, dit la jeune fille, dans un sourire donneur de vie.


 

-      Merci. Je ne me sens pas vieille et je ne suis pas du tout désaxée. Je vois l’humain, le profondément humain et il m’attire. Et j’ai une belle chance aujourd’hui. Me voilà, là, avec vous, à dire les choses. C’est une rencontre humaine, merci. J’ai été philosophe pendant trente-cinq ans. Enfin professeur de philosophie à l’université près de la placette où je vous ai vus. J’ai enseigné la philosophie, mais je crois que j’ai aussi développé pas mal de concepts et de pensée philosophiques. Peut-être est-ce cela qui m’a poussée vers vous ? Nous vivons dans un monde souvent brutal, un monde aliénant, plus que jamais aujourd’hui avec les smartphones et les réseaux sociaux. Un monde de tuerie aussi. Parce que les hommes oublient qu’ils sont égaux. Je voudrais vous dire un tas de choses avant que le café ne finisse. Pour moi, à mon heure existentielle d'aujourd’hui, une rencontre avec deux jeunes comme vous est une opportunité heureuse. Ne vous étonnez pas et surtout n’ayez aucune méfiance ( Elle regarda le jeune homme ). C’est vraiment la philosophie qui m’a poussée, l’humanisme aussi, la solitude sûrement, mais surtout le désir de dire.


 

-   Êtes-vous spécialiste d’un philosophe précis ? demanda le jeune homme, plus par politesse que par curiosité.


 

-    Je suis une passionnée de philosophie, adepte des humanistes du XVIème, mais aussi de l’humanisme dans son acception plus générale. Adepte pure des rationalistes et des stoïciens. Des existentialistes aussi. Spinoza, Schopenhauer, Socrate, Diogène, Épictète, Aurèle, Sartre  … Je vous ai vus tout à l’heure, j’ai senti quelque chose d’humain et je n’ai pas voulu passer à côté de cela. Vous avez eu la gentillesse de me proposer ce partage de chaud et de mots et je vous en remercie. C’est un moment humain, très peu anodin, fort même, du moins pour moi.


 

-        Vous avez quelque chose de nos parents, dit la jeune fille. 


 

Ce fut une petite heure de communication, de propension à écouter l’autre et à le saisir. Dans un café à l'ancienne, dans un patelin belge, par une journée de froid et de feuilles mortes. Un moment marquant pour tous, d’une certaine manière. Ils se rappelèrent leurs parents, leur dimension spirituelle s’exerça, ils échangèrent et elle en fut fort heureuse. Echange de coordonnées. Sait-on jamais !
























mercredi 19 novembre 2025

Mourir, si peu de chose ...

 







1.

 

Nous mourrons tous à tour de bras. C’est inéluctable. Et c’est dommage au vu des réalisations que nous pourrions encore accomplir. Peut-être que le temps ferait bien de prendre une petite pause pour laisser souffler les femmes et les hommes, les grands et les petits. On passe sa vie à penser à la mort, à l’imaginer et à la redouter dès la fin de l’insouciance de la jeunesse. 

Pourtant en mourant, toutes les souffrances s’arrêtent et ce sera l’extinction des feux de la machine corps. Alors pourquoi craindre cette paix éternelle ?

 

 

Quand elle rentra du Japon, elle appela sa mère et lui dit que la planète était minuscule au final.



-   J’étais à l’autre bout de la terre et tout compte fait la planète est minuscule, au regard de l’univers, je veux dire. Je me pose et direction le Cambodge, le Vietnam et Singapour. En fait, j’ai lu les dernières avancées en astrophysique et il n’est pas impossible que d’autres créatures existent avec d’autres composants. Cela peut même être des bactéries. Et puis, l’univers est infini. Plus même, il est exponentiel et en devenir permanent.

 

Elle lui répondit qu’elle voudrait bien mourir dans une terre libre. Pour que les bouts d’elle fassent leur chemin, foisonnent entre eux et donnent naissance à quelque chose qui puisse s’épanouir dans un espace de droit, d’avancées historiques et de traditions libertaires.

 

-        Ce serait vraiment bien, lui dit-elle.


 

-        Ce n’est pas le sujet Maman et arrête de me passer ton anxiété.


 

-      En même temps, regarde tes lectures, je n’y suis pour rien. Et fais un enfant et ce sera du sang neuf, des flux irrigants, une peau neuve et de la vie devant toi, devant nous.

 

Un silence se fit et chacune plongea dans son intériorité.

 

La mère repensa à sa caisse d’ordures - comme on disait à l’époque de Simone de Beauvoir. Elle y avait mis des épluchures, des coquilles d’œufs, des restes de nourriture … Rien d’avarié. Elle vérifia et ferma hermétiquement la caisse. Au bout de quelques jours, elle y trouva de la vie : des vers et plutôt en quantité. Il y eut quelque chose de chimique probablement, une fusion d’énergies et la vie apparut. Ce n’était pas une scientifique, certes, mais l’expérience fut menée avec dextérité et elle vérifia longuement que rien de ce qu’elle mit dans la poubelle n’était déjà altéré, contaminé ou putréfié. 

 

Des gaz, de l’alchimie, de la fusion, une transformation et puis, la vie ?

 

Le questionnement était dans les habitudes familiales et souvent, l’un des membres quittait son espace et venait rendre compte de ce qu’il apprit. Et les questions demeuraient posées : Qui sommes-nous ? Pourquoi partons-nous ? Où sera consignée notre pensance, cette intériorité intelligible que nous avons en nous, notre aptitude spirituelle au sens premier de l’adjectif ?

 

Je la vis à trois reprises. Le cœur s’arrêta et puis un à un les organes stoppèrent leur fonctionnement. Dont le cortex, se dit-elle. Et c’est fini, terminé, achevé. Le reste ? Des thèses abracadabrantesques. 

Il faut garder pour soi certaines pensées assez glauques, se dit-elle. Même pas pour soi.

 












 

2.

 

Le soleil rayonnait et la mer étincelait. C’était le mois de novembre, mais il faisait assez chaud. Un 22° Celsius. Pour certains, c’était une chance. Pas pour elle. Elle adorait le froid, la marche rapide les mains dans les poches et les joues rougies. Cette propension à faire réfléchir les siens - enfants déjà – était-elle utile, intéressante ? Pas sûr du tout. Heureusement, qu’ils disposaient de bon nombre d’outils de résilience. 


Mais pourquoi allumer le feu et se plaindre de ses potentielles brûlures ?

 

 






3.

 

C’était un petit patelin belge, les constructions y étaient incroyablement d’époque, les arbres gigantesques et le sol jonché de feuilles jaunes. Elle vit un beau jeune homme grand et vigoureux accompagné d’une toute jeune fille qui lui ressemblait étrangement. Ils marchaient, les mains dans les poches, discutaient, souriaient, riaient et s’arrêtaient aux pieds des arbres. Il lui parlait et semblait exposer des choses. Elle riait beaucoup et son visage s’illuminait. Quelle beauté ! pensa-t-elle. Peut-être un grand frère avec sa jeune sœur ?

Elle décida de s’approcher d’eux espérant pouvoir faire leur connaissance. Après tout, eux aussi, flânaient, se dit-elle.

 

A suivre