Virginia Woolf avait-elle eu raison ?
Pourquoi pensait-il à elle ? Avait-elle épargné aux siens une morte lente en hâtant la sienne ?
Il s’en voulait d’avoir des pensées aussi mauvaises, aussi funestes ... C’était qu’il ne la comprenait plus, haïssait cette maison désertée du rire et de l’engouement. Le bruissement de ces robes de Dieu qu’elle ne quittait plus lui mettait les nerfs à vif. Et ce noir débordant ! Elle perdait la raison, clairement.
Il ferma la porte derrière lui bien décidé à en découdre avec elle parce qu’il fallait crever l’abcès et que cette enflure dans sa tête et son âme - un mot qu’il exécrait – prenait des grosseurs pathologiques alarmantes.
Il alla directement à la cuisine, sortit du frigo les ingrédients d’une Bolognaise, d’une salade verte composée et d’un dessert à la mangue. Il adorait cuisiner et il devait le faire de toutes les manières puisque sa moitié agitée n’avait de place que pour Dieu dans sa vie. Il se disait que les odeurs chaudes finiraient par agir sur elle et que les cris du ventre n’avaient aucune religion. Vitalement.
Il mit une nappe colorée, disposa assiettes et couverts, serviettes en tissu … Tout ce qu’elle adorait avant ce fol amour engloutissant. Il choisit minutieusement une bonne bouteille de nectar blanc, certain que cela allait la faire sortir de ses gonds, mais il ne transigeait pas sur les libertés individuelles.
Et il l’appela.
- On se met à table Sophia ?
Elle vint assez vite, ce qui le conforta quant au pouvoir de l’odorat, l’un des plus puissants sens humains qui mêle nez, mental, souvenirs précis et thumos.
- Enlève cette bouteille, dit-elle, dans un souffle.
- Enlève ce pagne noir corbeau.
Elle baissa la tête et se regarda, hésita un court instant et se dirigea vers sa chambre. Elle revint vêtue d’une robe de jour blanche, passant ainsi du noir des Parques de la mort, à la blancheur de l’Immaculée conception. Il se servit un verre, rangea la bouteille de Chardonnay dans son rangement de cuisine destiné aux vins et prit place.
Le vit-elle ? Il n’en savait rien. Il lui servit sa salade, ses spaghettis aux crevettes et au parmesan, remplit son verre d’eau pétillante, fit la même chose pour lui-même et lui souhaita bon appétit.
- Je t’ai préparé ton plat préféré du temps des jours familiaux. Cela nous manque.
Elle ne répondit pas et commença à se sustenter en silence. Il la sentait fébrile à l’intérieur comme l’eau bouillonnante d’un torrent. Elle déglutissait aussi assez lentement comme si faire passer les aliments de l'oesophage à l’estomac demandait d’elle un effort incommensurable.
Il se taisait et l’observait du coin de l’œil, il avait choisi de se taire afin que le temps fasse de son côté son travail. Il était certain qu’elle était en dépression. Pourquoi ? Comment ? Pour quelles carences ? Quelle vieille blessure de son miroir interne ?
Il allait tout faire pour la ramener à la vie, ensuite à elle-même et enfin à lui. Son adversaire était de taille, mais il comprit que c’était le cloître qu’elle s’était choisie. Et il aimait sa femme.
À suivre
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