mercredi 19 juin 2024

Croire en l'homme



Carthage, 18 juin 24

Cabinet de Coaching psychologique






 

« Il fait gris et chaud. Je viens de lire un article scientifique sur la forte probabilité d’un tsunami d’une rare intensité, en Méditerranée. Dans trente ans. Il y a des chances que j’y sois. Et j’habite presque en front de mer. Ce serait la solution à mon désir d’y mourir. Rien que d’y songer et me voilà projetée trois décades devant. 

Ce n’est pas si innocent.

 

 

 

Ce qui se passe en Iran est gravement liberticide, mais de là à vouloir minimiser ce qui se passe à Gaza ! Non, pas d’accord. Et cela participe à ce travers humain qui consiste à tout hiérarchiser. Ma peau est plus éclatante, ma religion est plus juste et authentique, mon souci est autrement plus urgent … 

 

On opprime en Iran et on tue. On repousse à Gaza et on tue. Le facteur temps, durée, est-il primordial ? Je ne pense pas. On tue de toutes parts et il faudra que cela cesse. L’humanité échoue. Les politiques sont les maîtres du crime organisé. Plutôt eux.

 

 

 

J’ai vécu dans la douce harmonie du cosmopolitisme et l’ancien monde me manque. Les années 80. Nous étions des ados et c’était le dernier de nos soucis de nous enquérir des confessions. Et on détestait ! Du moins, beaucoup d’entre nous. On était dans la passion de la mer, du soleil, des bombolonis, des frites, du rire, des jeunes gens et des jeunes filles … 

 

Nos mères avaient, elles, vécu les sixties, le col Claudine, les robes à pois, les costumes de bain à courtes jupettes, l’arrivée des paquebots du monde entier, la descente en groupe des matelots, ces jeunes gens séduisants en uniformes blancs et bleus … Je les vois presque, tant le descriptif de la Mamma était pointilleux. Et puis, l’événement majeur du 15 août et la procession de la Madone de Trapani à l’église Saint-Augustin et Saint-Fidèle. Une procession suivie de tous, jusqu’à la mer où la Vierge parée de bijoux était introduite. Évènement majeur qui sonnait le glas de l’été et la mer docile changeait de robe dès le lendemain …

Sur pas moins de trois générations, il y eut des vies emplies de gaité, de partage, de petits bonheurs iodés, de respect, d’acceptation … Quelques couples s'étaient faits dans la transgression et dans la passion … Parce que la tolérance n’allait pas jusqu’aux unions, c’était la ligne Maginot. 

Un passé précieux, les sixties, les eighties, les communautés, la différence et l’appartenance à la même mer, les odeurs, le soleil et le linge qui séchait en quinze minutes … Une vie tranquille dans les particularités de chacun.

Aujourd’hui est un autre temps et dans le concert des voix violentes, nos propos sont inaudibles. Ma mère est morte et je m’acharne à dire la richesse du vivre-ensemble.

 

Avec Ruth, c’était bien plus que de l’amitié, nous étions une même personne dupliquée en deux. Très tôt, nous voulûmes comprendre la raison du séparatisme des alliances. Elle était amoureuse de mon frère et il lui fit comprendre que c’était oui pour une amourette. Mais qu'avec plus d’ambition, tout le monde serait contre. Il faut dire que lui n’était pas amoureux, il l’aimait beaucoup, certes, mais pas au point de braver les classiques et ils étaient nombreux. 

En réalité, il avait probablement d’autres raisons, « des copines en plan » comme il disait jusqu’au jour où il tomberait sur l’inratable. Il se prenait pour Steve McQueen et en jouait. Un rouleur de mécaniques qui nous fit, bien trop tôt, détester les hommes et nous étions déjà à dix-huit ans fort alertes et réactives. À éliminer celui-là et hop, aussitôt fait !

 

Pourquoi non aux unions ? Pourquoi les rires s’arrêtaient et les messes basses démarraient au quart de tour au moindre indice, à la moindre rumeur ? Que signifiait le « Non aux ménages disparates ! » glissé en douce et dans les pincements qui intimaient l’ordre de se taire ? 

Ruth et moi étions liées d’une telle amitié, nous étions si fusionnelles que toutes deux ne comprenions rien à leurs raisonnements, ou plus justement à leurs diktats. 

 

-  Nous sommes différents, nous n’avons pas les mêmes traditions ni la même religion, c’est simple. Oui, c’est vrai, le même Dieu. 

-   N’est-IL pas La valeur suprême ?

-  Oui, mais c’est comme ça, peu importe. Nous sommes différents. 

 

Et nous entreprîmes Ruth et moi de tout démonter. Cela nous prit quelques années, à observer, à remarquer, à noter une infinité de contradictions et de non-sens. C’était précisément ce dernier point qui nous ébranla. Le non-sens, mais aussi la morale claudicante des uns et des autres. C’est-à-dire que ce petit monde ne se gênait pas pour médire, être hypocrite, jalouser, être méchant, tromper intra-muros … tout en disant son adoration de Dieu. De même, bien campés dans leurs convictions et dans leurs contradictions, ils ne remettaient rien en question et encore moins leur propre personne.  

 

-  On nous a élevés ainsi, ne philosophons pas. Vivons ensemble, mais chacun dans son camp. Nous avons le même Dieu, mais nous, nous sommes dans le vrai, pas eux. Point.

 

Évidemment, il était préférable de ne pas exiger une démonstration scientifique ou sociologique ou philosophique … Il n’y a rien de plus facile que le discours démagogique, le discours fermé, buté qui croit détenir la vérité et ne peut d’aucune manière argumenter ou étayer son propos.

 

Nous devînmes vite fait iconoclastes, Ruth et moi, et prîmes pour religion l’humanisme, fermement, sûrement et absolument. C’était notre religion, notre culte, l’autre, l’autre soi-même, et il fallait lui apprendre à se libérer du joug du gratuit et du non-sens, qui tirait sa légitimité de sa naissance - mythologique – lointaine. Et de sa durabilité. Croire devrait être une affaire d'intelligence et non de suivisme. Et surtout croire en l'homme.

Voilà. »

 












mercredi 12 juin 2024

Hédi, Fin


 







Hédi est l’histoire d’un garçon devenu homme dans la sensibilité exacerbée, dans la maladresse du faire parental, entre excès et interdits, entre trop grand amour et trop grande rigidité, dans le deux-poids deux-mesures, dans une culture amorphe en manque de rébellion et de brisures indispensables pour une refonte exhaustive et davantage de liberté et de tolérance. 


 

Hédi est l’histoire d’une vie sacrifiée par bêtise et léthargie de tous, car, si même les strates premières étaient sans aucun doute ratées, il aurait fallu être réactif de toutes les manières possibles, devant les situations biaisées qui s’étaient présentées par la suite, pour éviter les pièges, les glissades et les ruptures fatales. 


 

Hédi, l’enfant délaissé, puis martyrisé, ensuite ignoré et au final abandonné … 


 

Peut-être faut-il avoir à l’esprit que les enjeux dans la vie des jeunes gens sont de taille dans les cultures du bassin méditerranéen, que les définitions pluriséculaires de ce que signifie être un « hooommme » sont assez statiques, plutôt fort machistes, allant jusqu’à faire intervenir biceps et poils du menton … Et les choses se jouent assez tôt à l’âge des premiers boutons, quand pour exister on se fraie un chemin - épineux - à travers le regard de l’autre, de tous les autres. 

Quand le besoin de reconnaissance ignore ou ne se soucie pas de la qualité d’autrui, que rien n’est encore en place, sur le plan saisissement des choses et des êtres, et, qu’il y a l’irrépressible désir d’être vu …


 

Un chaos psychique sous haute pression hormonale et sociale et, en situation de socle bancal, les bouleversements sont divers et fort marquants. 


 

Hédi, le petit aux roses, devint un rouleur de mécanique sur fond d’écorché-vif. Le calcul mental, dans lequel il excellait comme personne, devint un souvenir lointain et il fit tomber de ses mains, livres et BD qui l’occupèrent longtemps.


 

À dix-huit ans commença sa descente aux enfers et il échappa à une destinée tranquille, rêve de tous les parents pour leur progéniture. 


 

Il toucha à la porte des Enfers et n’en revint que mort, spirituellement, sentimentalement, socialement, avec un pouvoir décisionnaire totalement inopérant. 


 

Son humanisme resta intact, sauf qu’en l’absence de force psychique, de force mentale et caractérielle, son utilité était réduite et n’était qu’ornement d’un dire répétitif et infécond, appelé politesse. Or, même la politesse n’a de mérite qu’en la présence d’un tout équilibré et cohérent. Il n’était que faiblesse.

 

 

-       Je suis fini, je le sais. Et aucun muscle ne répond, j’en ai conscience. Je suis au moins en vie, c’est déjà ça. 

 

 

Une vie de remous d'abord, de grosses vagues ensuite, de noyades multiples. Une vie sans objectif aucun, à trente ans, celle du beau Hédi dont le prénom signifie le calme

 

Fin

 






 

mardi 11 juin 2024

Hédi, 2

 









« Hédi est l’une des pages les plus dures de l’existence des siens. Ils y avaient laissé toutes sortes d’émotions et probablement bien du temps. »

 

 

Le petit Hédi a-t-il été un TDAH ?

A-t-il été un apprenant TSA ?

A-t-il eu droit à du temps, des mots, des limites ?

A-t-il eu des réponses à ses questions ?

N’a-t-il pas été négligé ou abandonné à un moment crucial de son enfance ?

 

A-t-il été tout cela en même temps ?

 

 

 

( J’ai délaissé Hédi ces derniers temps et pour cause, mais je ne l’ai pas oublié. Je l’avais à l’esprit et j’attendais de retrouver son histoire, une parmi tant d’autres, faite de jeunesse bête et irresponsable, de chutes décisives et de douleurs extrêmes.

Raconter les autres se veut réflexif et constructeur. Parce que la vigilance devrait être une pièce maîtresse dans l’existence des hommes. )



 

Il courait vers son école, vers sa maîtresse - qui avait pressenti sa sensibilité - un bouquet de roses à la main, cueillies à la hâte du jardin de leur villa, maladroitement enveloppées dans du papier, mais joliment assemblées. Il était heureux de lui faire plaisir et était vraisemblablement en quête de l’approbation de ses yeux, de leurs étoiles bienveillantes. 

 

Tout d’un coup, un garnement à peine plus âgé, jaillit de nulle part, lui barra la route, lui arracha des mains le bouquet de roses destiné à la maîtresse et disparut aussi vite qu’il était apparu. Le monde s’écroula pour Hédi, en sanglots, il repartit vers chez lui et oublia l’école.


 

 

-       Mama, Mama, il me prit les fleurs, un gredin ! C’était pour Madame Joubert ! Elle m’aime, elle m’aime, hoquetait-il. 



 

L’enfant en sanglots, Hédi, le petit écolier, le garçonnet sous pression permanente à la maison, parce que son père croyait en l’éducation musclée pour les garçons, afin d’en faire un « heaume », un vrai. 



Aimé de sa maîtresse, qui était admirative de ses facilités en calcul mental, il ne pensait qu’à lui plaire. Adoré par sa Mama qui avait décidé très tôt qu’il était sans appétit, trop maigre, malchanceux et agité. En réalité, il eut peu d’écoute et d’attention les premières années de sa vie, durant son enfance, son adolescence jusqu’à l’implosion et le colonel des armées des terres et de la mer …


 

Parce qu’un enfant, de zéro à dix-huit ans a besoin de présence, de mots, de toucher, de douceur, d’écoute, de chances de réparation … Et que les parents ne sont que des apprentis de la transmission, entre le quotidien, les responsabilités, les écueils de la vie, leurs propres soucis, leurs traumas, leurs approches tâtonnantes de la vie, entre naïveté, immaturité-maturité, chantiers d’apprentissages divers et tout particulièrement lourdeur d’un héritage culturel truffé d’inégalités, d’erreurs et d’absurdités en tout genre.

 

A suivre