samedi 18 juin 2022

Jasmin d'Orient, 2

 




 

Il l’appela de la base.

 

-    - J’ai des escargots épinards-beurre, du gruyère hollandais, du champagne et ton chocolat. Tu m’attends ?

-          Je t’attends, dit-elle, d’une voix où transperçait le rire.

 

  Elle se dirigea directement vers sa salle de bain, se doucha rapidement, se fit belle et s’apprêta comme si elle sortait dîner.

La table fut mise vite fait, la table des événements exceptionnels et des moments mis en scène. La scénarisation du quotidien était leur plus belle invention.

 

Arrivé à la maison de la mer, il fit la même chose qu’elle, se rafraîchir et se faire beau : short et t-shirt pour lui. Logique après une journée épouvantablement fatigante.

 

-       - Allez, dîner aux chandelles ! Champagne, Madame ?

-       - Oui, dit-elle, en souriant. Allez, raconte !

-       - D’abord, j’ai une surprise pour toi. Tadiiiin !

-       - La Statue intérieure ? dit-elle, saisie par le titre. Ça me parle déjà.

 

Elle lisait la 4ème de couverture.

 

-       - Bon, d’abord les papilles, fit-il, avec un clin d'oeil.

 

En un rien de temps, la table fut garnie de salades, de toasts au gruyère, au thon, à la tapenade et au mascarpone. Les escargots furent chauffés au micro-ondes, les coupes de champagne remplies. Il y avait des automatismes installés chez l’un comme chez l’autre pour faire d’une table somme toute maigre, une dînette gastronomique. Sortir du frigo le déjà-prêt, le pain de mie, les légumes crus. Les salades étaient sa spécialité, les toasts les siens. Il pouvait faire d’une branche de céleri une salade en l’agrémentant de ce qui avait dans les réserves. Elle faisait des crèmes à tartiner d’olives, d’anchois, de câpres et de fromage blanc. D’autres de saumon et de mascarpone, de boutargue et de citron. Il y avait un air de fête dans la maison, de rire et de limpidité. Ils trinquèrent.  



-   Je porte ainsi en moi, sculptée depuis l'enfance, une sorte de statue intérieure qui donne une continuité à ma vie, qui est la part la plus intime, le noyau le plus dur de mon caractère : cette statue,  je l'ai modelée toute ma vie. Je lui ai sans cesse apporté des retouches. Je l'ai affinée. Je l'ai polie.


-        J’ai hâte, dit-elle. 


Il relit le passage. 


-        Porter, sculpter, statue intérieure et le travail qui s’ensuit.


-        Porter. La base n’est pas de lui.


-        En même temps, c’est un biologiste d’après ce que j’en sais.


-        Oui. La génétique. Mais aussi modeler, retouches.


-        Affiner et polir .

 

Ils parlèrent éducation, page blanche, façonnage parental, apport personnel et liberté. 


-        Dans le meilleur des cas, dit-elle.


-        La liberté vient de la proximité avec la nature, dit-il.


-        De la solitude et des lectures aussi, rétorqua-t-elle.


-        Tout dépend des livres !  


Elle ajouta que de rencontrer les livres était un moment crucial et que de ne pas les avoir au quotidien dans sa vie, faisait de nous des êtres ordinaires. 


-        Peut-être que le polissage me gênerait quelque peu. Les aspérités, cela a du bon. 


Ils trébuchèrent sur ce point. Polir était important pour elle, évidemment pas au début, dit-elle. Le rugueux n’étant pas commode. Oui, mais polir est un état de culture, dit-il. 


Ce fut ainsi entre champagne et petits délices légers. Rires et prises de bec intellectuelles. Quatrième de couv. et lecture de passages au hasard jusqu’à la fabrication d’une pensée à deux têtes, à deux noyaux. Jusqu’à la peau de l’autre, exaltés par la différence, la divergence, la signifiance accouchée et l’amour.  






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