vendredi 27 mars 2020

Aujourd'hui j'ai pleuré





Aujourd'hui j'ai pleuré les absents et les présents
J'ai pleuré maman et ses doigts d'amour
J'ai pleuré le virus dont je ne supporte plus le nom
J'ai pleuré le "r" et le "s" que j'aimais ailleurs
Dans le rêve et le silence heureux

Je n'ai même pas pleuré
Ce sont mes yeux qui se noient

Je pleure mon pays si loin de l'ordre et de la prospérité
Je pleure ma chienne que j'entends pleurer

Je pleure ces séniors qui partent par ici
Je pleure ma mer que j'aime tant
Je n'ai pas oublié les Absents
Je les porte comme un bien mais aussi comme un fardeau
Les jours heureux et les jours de pluie boueuse

Je pleure cet enfant si cassé que j'ai aimé malgré le piège
Cet enfant si fort mais si assemblé
Un enfant de la balle aux mots si précieux

Je pleure le chaos dans la tête des miens
Je pleure les brisures du jour et celles du soir venant
Je pleure sans bruit le déferlement de la mort
La mort rapide de ceux qui ont rêvé
De ceux dont les rêves n'ont jamais volé

Le monde est si lourd de ce mal inattendu
Un mal de chauve-souris
Un mal de nuit de crime
Je pleure moi la si forte de sa devanture
Je pleure des tas de brisures à venir

Je sens le monde faux
De clinquant et de vols
De viols et de haine
De mensonges et d'envie

Je pleure l'amitié si mensongère et l'amour impossible
Je pleure mon antre glacée du manque de mots
Je pleure mon coude renversé des éclats de mes éternuements

Je pleure l'homme si fort et si désarmé
Engoncé dans le gain et oublieux du Beau

Aujourd'hui, une heure sonne
Celle de tous dans un désarroi complet
Et je me dis en séchant mes joues de mon coude si utile
Au moins les vivants silencieux occuperont leurs plaines, leurs terres d'acier habillées

Les roses tapisseront un sol de gros pieds écrasé

Je pleure l'Absent qui fut rassurant
Les Absents piliers de ma charpente fêlée
Je pleure l'absence et l'incertitude.




dimanche 22 mars 2020

La cigogne reprend ses droits





Paris, 21 mars 20

Le monde paraît dans tout son surréalisme à la fenêtre : une ville fantôme. Pas un passant, pas une silhouette furtive, pas une voiture, pas un chien. L’essentiel se fait le matin, promenade rapide, jogging rapide, courses effrénées. Il est 18h, la journée est relativement fraîche même si les oiseaux s’évertuent à chanter. Ils n’ont pas tort, les amandiers sont en fleurs. Et ce rose délicat est d’une très belle sensibilité. L’amandier a donné la couleur, les oiseaux se chamaillent à tue-tête.

L’ambiance générale est à la Dino Buzzati, Le K précisément. Très rapidement, à partir de 14h. Ce qui n’a pas l’air de vouloir cesser, ce sont les sirènes. Régulièrement. 

-       Rentrez chez vous Monsieur, s’il vous plait.
-       Je suis chez moi Monsieur, cela ne se voit pas ?

L’un des policiers s’éloigne. Il décrit la situation au téléphone. Lily S. s’arrêta. Elle voulait intervenir pour casser des schémas. 
L’homme est à la rue, regardez ses yeux, tout y est. La rue EST sa demeure. Est-ce si difficile ?

« Je vous donne son signalement. Nous sommes rue Daumesnil, devant le n°23. »

Son signalement. Décrira-t-il son regard ? Il n’est même plus interrogateur. Il n’est même plus expectatif. Il est chaviré. Alors au 23 …

Comment se fait-il que cette grande métropole n’ait pas envisagé par tous les moyens l’hébergement des sans-logis bon gré mal gré, sur toute l’année ? Comment peut-on considérer que leur liberté est une barrière ? Quelle liberté, celle de s’imposer de la souffrance ? Il n’y a pas de démocratie face au chavirement de l’esprit, des yeux, de l’être.

A qui Dior, devra-t-il vendre ses produits si chers et si inutiles mais si beaux ? Que fera Bill Gates de toute sa fortune ? Non, je crois que je ne m’inquièterais pas pour BG. Surtout si nous sommes acculés au virtuel. Il continuera à prospérer. Tout risque fort de devenir robotisé. Nous vivrons cantonnés mais accrochés à nos oreillettes, nos tablettes, nos ordis. Nous sommes peut-être des hologrammes comme l’avancent timidement, pour le moment, certains physiciens. Ceux-là mêmes qui avancent la théorie des multivers et non plus de l’univers. Ceux-là qui travaillent sur la structure du cosmos.

Ce silence qui donne à voir, avec certitude, que tous les systèmes du monde peuvent tomber et se fracasser au sol. Que le confinement de tous autorise les animaux à reprendre ce qui leur appartenait, au même titre que l’homme. Déjà que beaucoup s’enhardissent et reprennent leurs droits. Les cigognes explorent l’extérieur, là, de suite, de très près. Inhabituel.

Rien, dans ce monde, n’a d’intérêt sans l’exercice du regard et aujourd’hui, tous, nous nous valons. Un moment de pause qui sera bénéfique si l’homme était sage. Mais il ne l’est pas et c’est précisément ce qui le fait avancer. Son inconséquence, son amnésie, son égoïsme. 
Mais jusqu’où avancera-t-il ? Vers quoi ? Et avec quelles valeurs ?


Seuls les amandiers en fleurs, les oiseaux hardis, les cigognes aventurières constituent un bel espoir aujourd’hui.