samedi 28 février 2015

Étranger moi-même aussi ... XIII.

XIII.

"Je me sens comme un enfant perdu et pourtant j'ai une femme, un foyer et de l'éclat. Une femme merveilleuse, un appartement cossu mais un éclat de façade. As-tu vu Le bel Imparfait ? Et L'Arrangement ? Non plus ? Et Proposition indécente ? Vous n'aimez pas le cinéma, les grands réalisateurs, les grands auteurs ? Un truc de riches ? Peut-être, oui.

Claire et moi aimons les livres, les manuscrits tout particulièrement et les objets rares, nous courons les expositions et les ventes aux enchères. Vous trouvez cela drôle à ce point ? Votre rire est particulier mais il rompt la glace ... il est spécial mais si résonnant, pourtant le bruit est insupportable.

Votre appartement est chaud, assez petit ... je vous remercie, d'accord je te remercie. Ma présence ne vous gêne pas, je t'attends dehors ... Non, c'est que je suis un étranger. Je suis confus ... Étranger à moi-même aussi, vous savez. Je suis un enfant souillé et puis humilié et puis humilié et puis mon père me prédit un avenir de pompiste, j'ai même tété la grande chienne à deux ans et j'ai un amour exclusif des chiens. La veille de ma mort, je jouerai avec ma chienne et elle fera son cinéma une baguette dans la gueule. Elle voudra me plaire. Je mourrai d'une rupture d'anévrisme. Vous riez, tu ris encore ... Tu sais les souillures des enfants, j'y ai toujours mal et il m'arrive encore de m'attarder sur les jeunes gens mais Claire a toujours le bon mot pour me remettre sur les rails. C'est une femme rare et aimante et si forte et si présente, c'est une sommité vous savez. Tu ne sais pas ce que cela veut dire ? Peu importe.

Et puis Sarah, ma sœur était très belle, elle l'est toujours et elle a plus de quarante ans. Je me souviens de Barbara une amie italienne qui me dit que ma sœur était bien plus belle que moi. J'avais arrêté d'écouter. J'adore ma sœur, c'est la femme de ma vie pourtant je l'ai haïe et j'avais même souhaité sa mort. C'est terrible hein. Non ? Tu sais, j'étais plus brillant qu'elle à l'école mais elle était rapide et les concours auxquels mon père nous soumettait me donnaient mal au ventre.

Claire ne veut pas que je parle de cela, elle dit qu'il y a un âge où les choses deviennent précieuses, ou les choix doivent être faits. Elle a toujours raison mais j'ai le thorax opprimé et je dois sortir, je devais sortir ... Je suis intelligent et je travaille, le travail est mon sacerdoce, c'est ma seule préoccupation. Mes préoccupations intellectuelles ne sont pas celles de tous, je travaille sur les livres anciens, c'est difficile et je suis à mon bureau tous les matins à quatre heures. C'est un savoir immense ... Et puis Claire me sait intelligent et laborieux, elle se réveille avec moi et me prépare mon café, une femme qui vous fait cela ... Et une femme libre ! Elle est exceptionnelle. Je viens de m'offrir un Mont-Blanc, rare ... Pourquoi une honte ? C'est un prix raisonnable pour cette qualité-là et puis c'est pour le septième manuscrit. Cela vous choque ? J'en ai un pour chaque exégèse. Vous, tu sais quand j'étais môme ou presque, j'ai été chez les putes avec le gardien de Belle-Ville, la propriété de mon père. Je ne savais même pas ce que c'était, c'était lui qui m'en parla pour la première fois, lui, le souilleur, il ne ratait rien et de sortir de son bourg pour monter ici a éveillé tous ses démons. Aujourd'hui, je ne sais pas ce qui est mieux, je ne sais plus. Je n'ai plus la trace de Marcel. Même si vous êtes une pute, vous avez de l'allure et puis qui n'est pas pute au final ? S'il vous plaît, ne soyez pas vexée ! Tant mieux. J'ai tellement de chose à vous dire et puis ... "

Il se tut. Que faisait-il dans une chambre de bonne avec une inconnue qui s'esclaffait presque à chaque instant ? Une inconnue au regard tantôt insolent tantôt provocateur tantôt moqueur, une inconnue qui sentait fort des effluves d'encens, et puis Claire et Liszt ou je ne sais qui ? C'était troublant. Mais les mots s'imposaient dans cette chambre des toits, ils s'im-po-saient, grave. Cela déferlait de partout et les commandes étaient introuvables.

mercredi 25 février 2015

À Jean-Michel Pollyn

Que dire à ceux qui n'ont pas été suffisamment écoutés ?
Qu'espérer de nos mots ?
Nos mots et leur entendement ?
Dire et dire et encore dire jusqu'à l'extinction,
À ceux-là même qui ne furent point entendus.
Il y a mal à voir l'autre ne pas savoir prêter l'oreille.
Les mots se replient et le regard prend place.

La glace et puis l'autre,
Soi-même bizarre et comparable à notre voix
Notre voix différée parvenue à nos oreilles.
Je me vois mieux dans tes prunelles
Quand elles brillent de moi.
Aimer c'est fort, s'aimer c'est tout.

Je peins l'essentiel,
Ce qui donne vie et le regard.
Écrire est nécessaire car la trace dure
Et sa durée est encore moi
Après le noir de la nuit.

Je ne sais ce que c'est que s'éteindre,
Je sais que c'est un rien,
Après un segment haut en couleurs,
Plus bas et plus haut que jamais
Disait le Poète.
Finalement si bas,
Qu'il y a tant à faire ici et maintenant.

Oui l'ami ou l'amant ou le frère ou mon semblable
Je me voulais ébène pour hurler la honte,
La pauvreté de ceux-là qui sont bêtement hautains.
Une couleur de vie, d'éclat et de terre,
Celle-là même qui hante tes nuits.
Regarde l'amant, ces yeux de jais
Et pense qu'ils te sourient chaudement.

Encore un Poète, de fureur et de rêves,
Parti en fumée parce que de brisures,
Il les choqua.
Regarde-toi l'ami, l'artiste et le penseur,
Ta beauté transparaît à travers l'outil,
Et de toi et de tes sens,
Nous nous emplissons chaque jour.

Alors dure tant que le jais brille,
Sa brillance est ta vie,
Et ton segment est l'éclat de ses yeux.

Entre colonne et sofa douteux... XII.

XII.

"Mes pensées désintoxiquées", ainsi finit-il sa missive. Une signature blessante.

Ce qui étonne toujours dans les relations humaines est l'amour. Le sentiment le plus vrai et le plus égoïste aussi. S'aimer à en perdre le souffle et puis se haïr et se faire la guerre. Et passer à autre chose et ainsi de suite. Non, ce n'était pas ainsi qu'il fallait procéder, il y a aussi embellir les choses et la vie et s'en imprégner. Tout va si vite qu'embellir ne peut que revêtir une cadence lente qui étire le temps et contraint la mort. Un peu, du moins.

Elle l'inspecta avec volupté de la tête aux pieds, histoire de scruter l'emplacement de tous les grains de beauté de cette peau de femme, la peau de sa mère dont il lui montra une photo. Une créature tout en raffinement et d'une grâce rare. Une peau fine et fraîche. Et puis cette grande ourse sur la joue droite. Il ne s'aimait pas dans le fond, repoussait sa main câline violemment et inconsciemment lors de ses sommes. Elle passa en revue, à haute voix, ses yeux, son nez, sa bouche. Seule cette dernière avait grâce à ses yeux. Il aimait sa bouche, "son miroir le lui prouva."

Et puis des mots et encore des mots mais rien sur l'épisode innommable, sauf une fois sans y prendre garde mais elle ne fit pas de commentaire. Eva le trouvait gentil et utile mais Claire l'aimait.
Eva allait lui faire dire tout le tabou consenti avec Claire, il n'y avait pas d'interdit avec elle et dans tous les cas de figure, son histoire à lui est celle des riches. Dans le fond, elle en faisait peu de cas, elle en riait même, d'un rire amer. C'était quand elle était seule avec elle-même.

Claire savait tous les dangers à remuer le passé, elle était fin psychologue et connaissait la nature de son homme, son milieu familial, la carrure de son père et ses manières sans détour, son côté Asperger, sa dysorthographie, son abord des femmes, sa sensibilité, son souci d'aplanir toute aspérité. Il haïssait les difficultés et ne pouvait leur faire face à tous les coups. Bref, Claire était sa colonne vertébrale mais visiblement, il avait besoin de s'allonger sur un canapé douteux avec toutes ses affaires. C"était ainsi. Une introspection décalée.

L'Innommable... XI.

XI.

Rien ni personne n'avait grâce à ses yeux et puis il faisait partie de cette catégorie de personnes ouvertes au passé, ouvertes à la reprise ne serait-ce que verbale de ce qui fut. Et ce qui fut pour elle était enterré. Ce n'était pas la même chose.

Pour Claire, l'équilibre d'une relation était l'ordre, la beauté, le regard et le sourire, les plaisirs quotidiens, les échanges intellectuels au soir, au coin du feu, autour de mets raffinés. Il n'était plus là, il courait derrière lui-même et voulait presque retourner vers les parenthèses fermées. La douleur de l'épisode clos sur décision - certes sage - de Claire. Il fut confus, apprit à se ranger pour vouloir redevenir confus et comprendre le pourquoi de ce qu'il était, de ce qu'il est.

Les hommes sont si fragiles et le temps si court, pensa Claire. C'était trop d'exigence et de rectitude.
Eva lui offrait l'opportunité de se laisser aller, d'ouvrir les pages d'un vieux livre en friche, un vieux livre douloureux. C'était quoi déjà ? Un séjour là-bas, dans l'innommable, pour être parti trop loin ...

De cela, Claire ne voulait plus parler. Pour elle, tourner la page doit être définitif et puis il y a tellement à faire et à aimer. À plaire aussi. Certaines portes doivent être emmurées, cela vaut mieux ainsi. Et pendant des années, il en fut ainsi, pour elle et pour lui. C'était sans compter les ébréchures du temps.

Et il y était et Eva comprenait très bien, malgré son inculture, ces arrêts-là même si pour elle, il s'agit d'avancer, de foncer même. À chacun son combat. Le sien était bien plus dans l'urgence malgré ses déhanchements mais cela c'était tout autre chose. Et il s'installa chez elle dans sa minuscule chambre de bonne, dans sa poussière. Il y avait quand même la beauté d'un abat-jour rare.

Et puis des mots, des flots de mots.