X.
Enest, Claire et l'histoire d'une vie hallucinante ...
Claire se rappelait les années fac comme si c'était hier. Son homme n'était plus là, il était avec l'autre, la femme du réverbère. Elle était dans sa beauté tellement vulgaire, tellement fille de joie que pour peu que l'on doute de soi ou que l'on soit dans le besoin d'un stimulus, c'était ce qu'il fallait. Elle était envoûtante aussi. C'était ses mots à lui. Exactement.
Les années fac, le campus, la pelouse, les bras de son homme jeune et rieur et si près d'elle. Enest était beau, il avait les traits sculptés et les sourcils très épais, les yeux immenses de ceux qui ont la vue double ou triple ou multiple, qui vont au-delà du sens immédiat à la recherche d'autres signifiés. C'était ce qui intriguait le plus chez lui. Mais son regard était empreint d'une telle gentillesse que Claire ne s'attardait pas outre-mesure sur cet "éclatement".
Enest était également d'une intelligence rare et d'une grande curiosité des sciences, du droit, de la chose littéraire et de la création artistique. Il faisait de la biologie et elle était persuadée que ce n'était pas ce qu'il lui fallait. Elle n'en disait rien. Dans sa famille, il y avait un domaine premier et puis après tous les autres : la Science. Il était donc dans la logique des siens.
Ils étaient sur Paris les deux, partageaient un même studio à Saint-Michel à deux pas de Jussieu. C'était il y a plus de vingt cinq ans.
La fac, les amis, les années-galère, les périodes de stress et d'examens, les résultats, l'euphorie et le désenchantement. Il faisait sa biologie à Paris VI, elle faisait sa psychologie à Nanterre. Il était dans l'exubérance en tout, elle était dans l'organisation et la construction. Un équilibre. Aujourd'hui vacillant et on ne peut plus en danger.
Il rata sa biologie pour des raisons encore aujourd'hui tues, pour ne pas avoir à revenir sur des moments difficiles. Et ce fut le droit où il réussit brillamment. Il avait un appétit de la connaissance énorme, un peu rapide, souvent glouton, ce qui confinait à son travail peu de méthodologie. Mais il réussissait. Claire, lui apportait le calme, la sérénité. Elle se rappelle encore les heures passées à lui masser le front et le cou, les jours de boulimie du savoir sous toutes ses formes. C'était son aspie à elle. Elle en était sûre mais là aussi atypique. Masser un front bouillonnant, elle lui demandait de fermer les yeux et massait, massait. Elle l'aimait pour lui principalement et pour son infinie gentillesse. Elle l'aimait pour ses mystères encore aujourd'hui, après une vie passée ensemble, un enfant devenu homme aujourd'hui et parti étudier aux États-Unis.
Enest est happé aujourd'hui par cette femme, celle de la rue Mogador et du réverbère, cette femme étrange et vulgaire qui eut l'idée de se limer les ongles en bas de sa chambre de bonne à vingt-deux heures sur la rue Mogador, pas loin de la salle de théâtre.
Que pouvait-il lui trouver ? Pourquoi n'opposait-il aucune résistance à cet étrange attrait ? Il avait toujours eu en horreur les femmes vulgaires et il lui arrivait d'exprimer des opinions incisives, des jugements que Claire tempérait. Pourquoi d'un coup, ni Claire, ni leur élégant appartement, ni Liszt, ni leurs films-culte, ni leurs échanges sur la littérature, l'art et la philo ne l'intéressaient désormais ? Et puis ces vieilles migraines qui reviennent avec force, ces yeux magnifiques écarquillés sur tout et surtout sur rien. Le pire c'est qu'il revenait chez lui de temps en temps pour tout raconter à Claire. C'était la seule chose qui lui restait à elle et malgré l'humiliation, elle acceptait et prêtait une oreille attentive.
Il lui parlait d'Eva, de son passé, de son enfance de fille de rue, un peu à la Piaf. Il lui parlait de la misère qu'elle vécut, de ses hommes, nombreux et de moments de tendresse qu'elle partagea avec certains d'entre eux. Il ne lui parlait que d'Eva, rien sur eux deux, leur relation, le fait qu'il passait les trois-quarts de son temps chez elle et Claire comprit qu'Enest lui faisait également des confidences, qu'il lui racontait ce qu'ils avaient décidé d'emmurer mutuellement, volontairement et consciemment. C'était de nouveau cette vieille dualité qui pointait du nez subrepticement. Le regard glouton et multiple.
Enest, Claire et l'histoire d'une vie hallucinante ...
Claire se rappelait les années fac comme si c'était hier. Son homme n'était plus là, il était avec l'autre, la femme du réverbère. Elle était dans sa beauté tellement vulgaire, tellement fille de joie que pour peu que l'on doute de soi ou que l'on soit dans le besoin d'un stimulus, c'était ce qu'il fallait. Elle était envoûtante aussi. C'était ses mots à lui. Exactement.
Les années fac, le campus, la pelouse, les bras de son homme jeune et rieur et si près d'elle. Enest était beau, il avait les traits sculptés et les sourcils très épais, les yeux immenses de ceux qui ont la vue double ou triple ou multiple, qui vont au-delà du sens immédiat à la recherche d'autres signifiés. C'était ce qui intriguait le plus chez lui. Mais son regard était empreint d'une telle gentillesse que Claire ne s'attardait pas outre-mesure sur cet "éclatement".
Enest était également d'une intelligence rare et d'une grande curiosité des sciences, du droit, de la chose littéraire et de la création artistique. Il faisait de la biologie et elle était persuadée que ce n'était pas ce qu'il lui fallait. Elle n'en disait rien. Dans sa famille, il y avait un domaine premier et puis après tous les autres : la Science. Il était donc dans la logique des siens.
Ils étaient sur Paris les deux, partageaient un même studio à Saint-Michel à deux pas de Jussieu. C'était il y a plus de vingt cinq ans.
La fac, les amis, les années-galère, les périodes de stress et d'examens, les résultats, l'euphorie et le désenchantement. Il faisait sa biologie à Paris VI, elle faisait sa psychologie à Nanterre. Il était dans l'exubérance en tout, elle était dans l'organisation et la construction. Un équilibre. Aujourd'hui vacillant et on ne peut plus en danger.
Il rata sa biologie pour des raisons encore aujourd'hui tues, pour ne pas avoir à revenir sur des moments difficiles. Et ce fut le droit où il réussit brillamment. Il avait un appétit de la connaissance énorme, un peu rapide, souvent glouton, ce qui confinait à son travail peu de méthodologie. Mais il réussissait. Claire, lui apportait le calme, la sérénité. Elle se rappelle encore les heures passées à lui masser le front et le cou, les jours de boulimie du savoir sous toutes ses formes. C'était son aspie à elle. Elle en était sûre mais là aussi atypique. Masser un front bouillonnant, elle lui demandait de fermer les yeux et massait, massait. Elle l'aimait pour lui principalement et pour son infinie gentillesse. Elle l'aimait pour ses mystères encore aujourd'hui, après une vie passée ensemble, un enfant devenu homme aujourd'hui et parti étudier aux États-Unis.
Enest est happé aujourd'hui par cette femme, celle de la rue Mogador et du réverbère, cette femme étrange et vulgaire qui eut l'idée de se limer les ongles en bas de sa chambre de bonne à vingt-deux heures sur la rue Mogador, pas loin de la salle de théâtre.
Que pouvait-il lui trouver ? Pourquoi n'opposait-il aucune résistance à cet étrange attrait ? Il avait toujours eu en horreur les femmes vulgaires et il lui arrivait d'exprimer des opinions incisives, des jugements que Claire tempérait. Pourquoi d'un coup, ni Claire, ni leur élégant appartement, ni Liszt, ni leurs films-culte, ni leurs échanges sur la littérature, l'art et la philo ne l'intéressaient désormais ? Et puis ces vieilles migraines qui reviennent avec force, ces yeux magnifiques écarquillés sur tout et surtout sur rien. Le pire c'est qu'il revenait chez lui de temps en temps pour tout raconter à Claire. C'était la seule chose qui lui restait à elle et malgré l'humiliation, elle acceptait et prêtait une oreille attentive.
Il lui parlait d'Eva, de son passé, de son enfance de fille de rue, un peu à la Piaf. Il lui parlait de la misère qu'elle vécut, de ses hommes, nombreux et de moments de tendresse qu'elle partagea avec certains d'entre eux. Il ne lui parlait que d'Eva, rien sur eux deux, leur relation, le fait qu'il passait les trois-quarts de son temps chez elle et Claire comprit qu'Enest lui faisait également des confidences, qu'il lui racontait ce qu'ils avaient décidé d'emmurer mutuellement, volontairement et consciemment. C'était de nouveau cette vieille dualité qui pointait du nez subrepticement. Le regard glouton et multiple.
Très beau. On a envie de chanter leur histoire !
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