mercredi 31 décembre 2014

La courbe de tes yeux

Billets d'humeur

1. J'ai voté BCE comme plus de la moitié des femmes tunisiennes. J'ai un profond respect pour le Monsieur, cela va de soi. Mais j'ai voté par nécessité. C'est un vote pour contrer un projet sociétal moyenâgeux qui m'angoissait et ne me permettait pas d'envisager un avenir heureux pour mes enfants dans leur pays. BCE est un Monsieur au grand âge, il ne peut représenter l'avenir de la Tunisie. Mais il peut incarner son passé des glorieuses 70, il peut asseoir la souveraineté de la Tunisie et il peut relancer la vision bâtisseuse de Bourguiba dans sa meilleure période. Ce qui m'inquiète outre le grand âge, ce sont les courtisans. Quels qu'ils soient qu'ils sachent tous qu'il va falloir composer avec une société civile forte et aguerrie, perspicace et réactive dont l'arme redoutable est la liberté de dire, de hurler et d'agiter. J'ai voté BCE parce qu'il est possible de le contrer.

2. Que l'année à venir vous soit douce et heureuse.
Que l'amitié et l'amour puissent triompher de la bêtise et de la haine.
Que les personnes diminuées puissent se sentir moins seules, qu'elles soient aimées.
Que les Hommes apprennent à tisser des liens forts, à regarder l'autre, à le toucher et à l'épauler.
Que la vie continue belle et généreuse.
Que ceux qui ne sont plus là sachent qu'ils sont toujours parmi nous.
Que cesse le rejet de l'autre.
Que le Beau vous soit accessible.

3. La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur ...

Retrouver ses convictions esthétiques et poétiques.
Sa notion du Beau.
Le Beau, l'histoire d'une vie qui ne regarde que dans cette direction.
La mer ne me parle plus. C'est d'une tristesse. Même pas hier au fort du vent, du froid glacial, des vagues. Elle était marron à force d'être en colère. Houleuse. Rien. Pas un mot. Pas un regard.

Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
PE.


dimanche 28 décembre 2014

Billet de vie 2. Eva. X.

X.
Enest, Claire et l'histoire d'une vie hallucinante ...


Claire se rappelait les années fac comme si c'était hier. Son homme n'était plus là, il était avec l'autre, la femme du réverbère. Elle était dans sa beauté tellement vulgaire, tellement fille de joie que pour peu que l'on doute de soi ou que l'on soit dans le besoin d'un stimulus, c'était ce qu'il fallait. Elle était envoûtante aussi. C'était ses mots à lui. Exactement.

Les années fac, le campus, la pelouse, les bras de son homme jeune et rieur et si près d'elle. Enest était beau, il avait les traits sculptés et les sourcils très épais, les yeux immenses de ceux qui ont la vue double ou triple ou multiple, qui vont au-delà du sens immédiat à la recherche d'autres signifiés. C'était ce qui intriguait le plus chez lui. Mais son regard était empreint d'une telle gentillesse que Claire ne s'attardait pas outre-mesure sur cet "éclatement".
Enest était également d'une intelligence rare et d'une grande curiosité des sciences, du droit, de la chose littéraire et de la création artistique. Il faisait de la biologie et elle était persuadée que ce n'était pas ce qu'il lui fallait. Elle n'en disait rien. Dans sa famille, il y avait un domaine premier et puis après tous les autres : la Science. Il était donc dans la logique des siens.
Ils étaient sur Paris les deux, partageaient un même studio à Saint-Michel à deux pas de Jussieu. C'était il y a plus de vingt cinq ans.

La fac, les amis, les années-galère, les périodes de stress et d'examens, les résultats, l'euphorie et le désenchantement. Il faisait sa biologie à Paris VI, elle faisait sa psychologie à Nanterre. Il était dans l'exubérance en tout, elle était dans l'organisation et la construction. Un équilibre. Aujourd'hui vacillant et on ne peut plus en danger.
Il rata sa biologie pour des raisons encore aujourd'hui tues, pour ne pas avoir à revenir sur des moments difficiles. Et ce fut le droit où il réussit brillamment. Il avait un appétit de la connaissance énorme, un peu rapide, souvent glouton, ce qui confinait à son travail peu de méthodologie. Mais il réussissait. Claire, lui apportait le calme, la sérénité. Elle se rappelle encore les heures passées à lui masser le front et le cou, les jours de boulimie du savoir sous toutes ses formes. C'était son aspie à elle. Elle en était sûre mais là aussi atypique. Masser un front bouillonnant, elle lui demandait de fermer les yeux et massait, massait. Elle l'aimait pour lui principalement et pour son infinie gentillesse. Elle l'aimait pour ses mystères encore aujourd'hui, après une vie passée ensemble, un enfant devenu homme aujourd'hui et parti étudier aux États-Unis.
Enest est happé aujourd'hui par cette femme, celle de la rue Mogador et du réverbère, cette femme étrange et vulgaire qui eut l'idée de se limer les ongles en bas de sa chambre de bonne à vingt-deux heures sur la rue Mogador, pas loin de la salle de théâtre.

Que pouvait-il lui trouver ? Pourquoi n'opposait-il aucune résistance à cet étrange attrait ? Il avait toujours eu en horreur les femmes vulgaires et il lui arrivait d'exprimer des opinions incisives, des jugements que Claire tempérait. Pourquoi d'un coup, ni Claire, ni leur élégant appartement, ni Liszt, ni leurs films-culte, ni leurs échanges sur la littérature, l'art et la philo ne l'intéressaient désormais ? Et puis ces vieilles migraines qui reviennent avec force, ces yeux magnifiques écarquillés sur tout et surtout sur rien. Le pire c'est qu'il revenait chez lui de temps en temps pour tout raconter à Claire. C'était la seule chose qui lui restait à elle et malgré l'humiliation, elle acceptait et prêtait une oreille attentive.
Il lui parlait d'Eva, de son passé, de son enfance de fille de rue, un peu à la Piaf. Il lui parlait de la misère qu'elle vécut, de ses hommes, nombreux et de moments de tendresse qu'elle partagea avec certains d'entre eux. Il ne lui parlait que d'Eva, rien sur eux deux, leur relation, le fait qu'il passait les trois-quarts de son temps chez elle et Claire comprit qu'Enest lui faisait également des confidences, qu'il lui racontait ce qu'ils avaient décidé d'emmurer mutuellement, volontairement et consciemment. C'était de nouveau cette vieille dualité qui pointait du nez subrepticement. Le regard glouton et multiple.

mercredi 24 décembre 2014

Eva. X.

X.

Billets de vie

1. L'exclue

L'ordonnancement des mouettes était surprenant. Toutes regardaient dans la même direction, leurs queues symétriques aux piquets. Pas un seul mouvement. C'était beau et d'une forte perception pour elle et très certainement pour lui mais d'une tout autre façon assurément. Il s'amusait et ses yeux aiguisés à la détection de tout signifiant ne rataient rien. Il avait d'immenses yeux en amandes où tour à tour et au fil des jours, elle voyait un tas de sentiments. Chavirants quelquefois, toujours chargés de sens.

Les mouettes ne bougèrent qu'à l'arrivée de l'intruse. Elle n'avait pas sa place, elle essaya un piquet occupé et en fut aussitôt chassée. Elle partit un peu plus loin, en trouva un, s'y posa mais elle était en dehors de la communauté. Entre temps, les autres, toutes d'un même geste, s'inclinèrent dans sa direction toujours avec la même symétrie. Une sorte de chasse gardée, elle restera en dehors du groupe et n'y sera pas admise, le tout dans un calme serein et une paix mathématique.

La réflexion intérieure de Claire était toute à la différence, aux inclinations, à l'acceptation de l'Altérité. Elle n'avait rien contre l'amour de l'un vers l'autre de la même appartenance et elle était presque sûre que la mouette exclue l'était pour des raisons analogues ou bien qu'elle gambergeait trop comme lui aimait à le dire.

Le fait est là : la mouette était indésirable. Elle était plongée dans ses questionnements et lui avait toutes les réponses. Il en avançait une ou l'autre, disait ceci ou cela toujours avec rigueur et confusion. Et puis, il y avait les textes et ses peurs à elle. Elle avait en elle de fortes intuitions, souvent des certitudes, l'habitude du décryptage, le décodage des signes. Les textes, toute sa vie.

Ils étaient assis sur l'asphalte face à la mer qui ne lui parlait plus, depuis longtemps déjà. À en pleurer. Cela valait tous les dictionnaires du monde et même google. Car tout se faisait dans l'interaction et une sensibilité magnifique. Ce Monsieur était intéressant, tendre, dur, violent quelque part. Il courait depuis enfant et sa démarche était lente et laborieuse. Tout savoir sans organisation particulière de la pensée, dans tous les sens et puis cette fluidité et ces ramifications à n'en plus finir. C'était intéressant jusqu'au moment où il faut lui rappeler le point de départ. Mais pour l'heure ce n'était pas tant cela qui l'occupait. Plutôt un point de fuite très loin derrière. Pourquoi ce portrait ? Une réminiscence ? Un retour vers un goût refoulé ? Un penchant vers l'interdit ?

Elle se souvient parfaitement de ce qu'il lui écrivait. " Ses sensations belles et fortes d'un passé vieux de plus de trente ans qu'il voulait transcrire et qui s'évanouissaient injustement et inéluctablement".

Peut-on passer trente ans sous le diktat du socialement codé à se remémorer des sensations rares aimées et délaissées mais tapies au fond de soi ?

Peut-on vouloir faire plaisir aux siens proches, aller dans le sens commun et offrir une image d'un bonheur qui a leur aval et leur assentiment ?

Peut-on vraiment aimer l'un et l'autre d'un amour vrai mais si différent ?

Peut-on aimer d'une amitié forte celle-là même qui ne sait aimer que d'amour et qui s'appelle Claire ?

Eva, elle, avait toutes les réponses. Peut-être même plus que lui dans ses moments purs et sans le despotisme inconscient ou conscient du délire.