lundi 23 avril 2012

La FIV démocratique


                                                        

Des allégations diriez-vous ? Nous en convenons. Des allégations doublées de convictions personnelles.
Le concept de non-ingérence dans les affaires politiques d’un pays tiers est un concept creux. Le printemps arabe l’est aussi. A ceci près qu’il l’est dans son déclenchement mais que son évolution, elle, lui est propre et qu’elle mène son chemin dans les soubresauts prévisibles.
Dans le même ordre d’idées, l’évènement de la démocratie : une gestation difficile mais nécessaire historiquement. Sur décision américaine mûrie, probablement, depuis longtemps, et, confortée dans son faire par l’échec de l’expérience américaine en Irak. Il en sera autrement désormais : le projet démocratique du monde arabe se fera sans intervention militaire américaine, avec son peuple et toutes ces composantes, avec le retour de l’entité islamiste en exil, avec l’exercice de toutes les institutions et avec une société civile qui a tout le potentiel de s’inscrire en faux. Les Américains se sont «  plantés » en Irak, on n’impose pas, on ne greffe pas en usant de violence un modèle venu d’ailleurs, sans être sûr de son imbrication possible, sans faire participer les premiers concernés eux-mêmes : « les gens » du pays. La Tunisie sera le premier laboratoire expérimental d’une FIV démocratique. Aux commandes, les islamistes réintroduits chez eux parce qu’on peut guérir le mal par le mal, parce que le pouvoir corrompt tout naturellement, parce que le pouvoir et l’argent sont indétrônables, parce qu’il faut en décharger l’Occident et offrir à ces ex-exilés et un espace d’action et une filiation aux concepteurs du projet qui se fera d’elle-même de toute façon. Le monde arabe fera l’apprentissage de la démocratie. Un chemin probablement long - sous l’œil américain bien entendu – tumultueux mais jusque-là non sans intérêt.
Le choix de la Tunisie est un choix stratégique, géostratégique, historico-stratégique. Les dimensions sociale, culturelle, humaine s’y prêtaient également. La greffe était possible et les intérêts américains à moyen et à long terme ne sauraient attendre. Le bain démocratique en Tunisie est notre réalité d’aujourd’hui, du moment, de l’heure. La « bête monstre » réprimée depuis des décennies est « réhabilitée » chez elle, impliquée directement. Elle parle une langue nouvelle, celle des accords, coût de la gouvernance. Bonne ou mauvaise ? C’est ce qui reste à démontrer. Pour l’heure, ce qui échappe au parti aux commandes, ce sont précisément ses hommes qui restent eux dans la naïveté du discours originel loin de la politique politicienne.
Le tour de passe-passe a émis des signaux et le clan Ben Ali-Trabelsi a été vertement tancé, des signes avant-coureurs de disgrâce ont été envoyés mais ils n’ont pas su les décrypter. Ils ont été jusqu’au défi dans l’aveuglement du pouvoir. Un tout petit exemple, parlant en lui-même, les derniers mois du régime Ben Ali : "la dent" du pouvoir tunisien contre l’école américaine. Quand un pouvoir perd sa perspicacité politicienne, quand il oublie que la souveraineté est malléable ( la realpolitik : dure réalité, bon gré mal gré ) quand il n’a ni l’argent ni l’arme de discussion, il saute. C’est l’ordre du monde et tout bêtement la loi de la jungle.
L’intérêt de ce nouveau « faire » américain est qu’il a su tenir compte cette fois-ci des caractéristiques des pays en mal de démocratie. Il a su se dévêtir de ses atours de cow-boy, de son lasso, de ses éperons. L’intérêt de l’expérience tunisienne est le melting pot du tissu social et intellectuel. Il serait trop facile de ne voir que deux camps : les conservateurs d’un côté et les démocrates de l’autre. Il y a tous ces dégradés forts intéressants à voir et à étudier. Et c’est probablement là qu’il y a à faire pour principalement faire passer l’idée  que modernisme et islam ne sont pas antonymiques. L’intérêt du laboratoire démocratique tunisien est qu’il se fait in vivo, ici et maintenant. Nous sommes directement acteurs et l’avenir sera à la taille de nos actions. Il s’agit de faire réussir cette FIV en œuvrant pour et en mettant tout en œuvre.
Rien n’est gagné. La société civile, ses actions et ses réactions sont d’une importance capitale.
L’opposition, sa teneur, sa force de conviction, son travail sur le terrain, ses prises de position seront décisives. Enfin, le 4ème pouvoir sera le poids-clé dans cette phase de transition. Sa liberté est indiscutable. Le danger pour lui sera sa dépendance vis-à-vis de l’argent avec le projet de privatiser les moyens d’information.
La culture démocratique se fera surtout par l’éducation qui doit exiger d’être autonome, qui devra secouer tous les jougs. Terrain glissant cependant.
Les mécanismes de la démocratie ne s’installent pas en un jour, en un an. Il est fort probable que les quadras, les quinquas ne verront pas de suite l’alternance des pouvoirs différents, le roulement démocratique varié.
Il faudra du temps et du sur-terrain car on l’a vu le peuple tunisien manque d’argent et donc forcément de recul, il manque de culture et d’éveil politique au vu de la jeunesse de sa république et de son histoire (républicaine), il manque de lecture et de sens critique.

Malgré tout et quand on arrive à vaincre ses angoisses personnelles de vie et de mort, quand on oublie le passage du temps, quand on fait face aux tentatives d’intimidation de ces étonnants hommes à robe qui gagnent à trouver un emploi et une régularité de vie, quand on se trouve à espérer – ou à deviner – que le report du prononcé du jugement définitif du ridicule procès Nessma prévu le 3 mai - date de la journée mondiale de la liberté de la presse – n’est pas pure coïncidence, et bien, dans ces cas-là, on se rend compte malgré tout qu’il n’a jamais été aussi intéressant de vivre en Tunisie et d’assister en direct à l’accouchement de quelque chose.
Irons-nous jusqu’à dire merci oncle Sam ?
Peu sûre. Car le résultat final dépendra de notre implication, de notre engagement, de notre action, nous les vrais démocrates, nous la société civile afin que nos enfants aient droit à la modernité.

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