Il faut peut-être s’attarder un peu plus sur le grand merci à M. Béji Caïd Essebssi. L’homme politique par excellence dans le parler et le faire. La transition a marché, les institutions ne se sont pas effondrées et le Tunisien a respecté un homme digne de respect. Preuve que le besoin de références reste intact. Preuve aussi que la légitimité historique reste légitime. Et BCE n’a eu de cesse de tonner sa filiation à Bourguiba et sa fierté d’avoir participé à la construction de la jeune République tunisienne.
Oui, légitimité historique d’un acteur de la libération et d’un bâtisseur de la jeune Tunisie auquel on a fait appel pour éviter la banqueroute du pays au lendemain du 14 janvier, quand peu de personnes politiques, avaient du crédit aux yeux des Tunisiens hors d’eux par la dictature et meurtris par la mort des leurs. Et quelle mort ! Bouazizi et d’autres qui ne vieilliront jamais. Redevables à jamais à ces régions de la Tunisie, Sidi Bouzid, Kasserine, Thala…pauvres et ignorées mais si valeureuses. De cette dimension quasi épique de l’Homme fort et rebelle qui meurt pour ne pas courber l’échine. Nous en profitons aujourd’hui, même si, pour beaucoup, les évènements de l’heure, sont contre toute attente.
Pour les laïcs pur jus qui ne sont pas obligatoirement, comme on veut le faire croire, des incroyants, politique et religion ne font pas bon ménage ensemble et les dissocier est obligatoire. Pour ces laïcs, qu’un parti religieux puisse être autorisé, qu’il instrumentalise la religion à des fins politiques et qu’il remporte les élections a été difficile à admettre. Et quelle victoire ! Partielle en réalité. Mais il a fallu, par espoir d’installer dans le pays des traditions démocratiques, l’admettre, la comprendre et lui faire comprendre le rôle qu’entend jouer l’opposition dans le pays. La nécessité démocratique a dit son mot.
Aujourd’hui, assemblée constituante, troïka, arrivée au pouvoir de Marzouki, gouvernement Jebali et sa pléthore de ministres, cassures et guerres intestines au sein des partis vainqueurs laissent voir un atelier politique bouillonnant, des alliances inattendues et peu compréhensibles idéologiquement, des renvois d’ascenseurs, un partage de l’autorité politique, des coups de gueule virulents…Le Tunisien suit de près, la presse est aux aguets et cela c’est le positif vrai de cette « révolution » du 14 janvier.
Le personnel politique de l’heure tire sa première légitimité du vote des Tunisiens, du moins ceux qui ont voté. Le parti vainqueur ajoute à cette légitimité celle des années de geôle. Le CPR et Ettakatol ont consolidé Ennahda contre des portefeuilles ministériels au reste d’y laisser des électeurs. Ils ont misé sur le court terme et des miettes de pouvoir.
Dans cet atelier politique, ouvert, en réalité, à des puissances financières étrangères qui ont dû débourser avant, durant et après les élections pour opérer bien des changements en Tunisie, pour faire accéder au pouvoir Ennahda, pour des intérêts personnels d’abord, et, pour une mainmise sur le pays mais aussi la région probablement, dans cet atelier politique donc, les donnes sont nouvelles pour le Tunisien, les références également, la personne politique est nouvelle.
BCE, durant la transition, a été accueilli dans le calme, puis la sympathie, enfin la confiance : sa légitimité historique, son parcours personnel et son hostilité à l’égard du RCD lui ayant ouvert toutes les portes. Son grand âge a été vu comme un atout, son expérience politique comme une référence. Lui, le savait et il a brandi plus d’une fois la carte de la filiation bourguibienne. Aujourd’hui, la légitimité en politique est « pénitentiaire ». Ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est qu’elle n’est plus liée à l’histoire coloniale, à la libération. L’ennemi n’est plus le colon, l’impérialiste, l’étranger. Cette légitimité n’a pas l’historicité nécessaire pour qu’elle soit admise de tous, elle est fraîche, jeune, nouvelle, entachée. Le recul et l’action politique des nouveaux gouvernants lui tailleront sa part et l’inscriront dans l’un des deux grands chapitres de l’Histoire. C’est, parce que, la légitimité en politique est importante que le nom d’Ahmed Mestiri, grand militant, a été proposé peu après le 23 octobre. L’homme est sobre et élégant : « J’ai 86 ans. Je n’ai pas d’ambition présidentielle ou ministérielle ». Déjà du temps de Ben Ali, Mestiri avait refusé de se prêter à la « démocratie » de l’époque. Souhaitons que le mot démocratie ait retrouvé depuis sa signification. En tout cas, le peuple y veille.