Maria
I.
"Je ne sais quel est votre regard sur lui. Le mien est neuf, respectueux de l’être, du fond, de la dynamique. De la consistance et de la liberté. Je ne vis pas le désespoir. Plus tard."
Je crois bien que je n’eus jamais d’adolescence et je passai de l’enfance à l’âge adulte. Et même qu’enfant, j’étais déjà une petite adulte. Vu ainsi et avec le recul, c’est assez insupportable. Peut-être que c’est précisément cela qui me prédisposa aux phrases déclaratives si décriées par les miens aujourd'hui.
Oui, ouvrir la bouche pour énoncer des vérités est assez énervant surtout quand on a douze ans. D’autant que ma mère me faisait une raie au milieu, un chignon nuque tressé et m’appelait Maria, parce que j’étais, selon elle, la réplique de Maria Ingalls, sa petite héroïne.
C’était l’éducation à la méthode Sainte-Beuve. Les lettrés comprendront. A la Lagarde et Michard. Tout d’un trait, à la perfection, selon une chronologie rigoriste et linéaire.
A quatorze ans, je vis chez une amie, un Monsieur digne, réservé, qui parlait peu mais bien. Un homme profond, en charge de deux sœurs et d’un frère. Un vieux de 29 ans qui discutait avec son père. En réalité, c’était le locataire de leur rez-de-chaussée. Il était très sérieux, élégant, moderne et le père disait de lui que c’était un homme et un vrai.
Nos amis, qui avaient pour la plupart entre quinze et dix-huit ans, étaient dans l’effervescence de la jeunesse, entre copains-copines, festival, musique, motos et herbes. En vérité, ils n’étaient pas tous gosses de riches comme je le pensais et, même avant d’écouter le Monsieur d’une oreille qui se voulait discrète, je les marquai tous du fer de la sentence draconienne : insignifiants et pourris gâtés.
Ce que j’étais. Plus le sérieux et un sens du juste assez développé. Je ne tirais de fierté que de ce que je réalisais par moi-même. Et puis, j’avais des géniteurs assez rigoureux dans leurs excès. Pas du côté mère où le rigorisme dominait. Histoire de famille et de pontificat, version du coin.
J’appris via ce qu’en disait le père de mon amie que ce Monsieur discret, homme de parole rigoureux s’occupait de la scolarité de ses frère et sœurs. Et ils nous étaient arrivés de les croiser, discrets, un petit bonjour très rapide et ça traçait. Modernes d’allure extérieure, beaux, mais très réservés.
Quel regard avait-il sur nous à cette époque-là ? Je sais tout depuis un bon moment déjà.
La jeunesse est aveugle et bien que l’on se pinçât à ce moment-là pour graver notre saisissement des choses, on ne savait pas encore la possible direction qu’elles pouvaient prendre. Le cœur siégeait. Enfin, je crois.
Quand on a quinze ans, que l’on n’a jamais été fou, que l’on est doté d’un sérieux inexpliqué à ce jour, que les livres dominaient notre vie, les livres, le temps des livres, le silence des livres, la teneur des livres … notre regard est différencié et bien que l’on soit très entourée, très courue, on décidait des choses.
C’est ainsi qu’à seize ans, je liai ma vie à un homme de quinze ans mon aîné, qui fut un homme, mais aussi un étranger. Par amour des livres.
Comment purent-ils me faire confiance ?
Elle force le respect, disaient-ils.
A quinze ans ?
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