vendredi 26 août 2022

Justesse et justice

 


                                              Saint-Malo, photo Sophie Granier, août 2022



Chers lecteurs,

 

Je travaille tous les jours sur S. une fresque qui paraîtra en novembre/décembre. Des moments forts, longs, imprégnés de bon nombre d’histoires, de vie, d’intensité et de drames historiques.


Un tourbillon. Plus d’un siècle de petites narrations et de grandes narrations entre intimité et événements planétaires.


Je refuse toute idée achevée, définitive, et m’inscris dans une pensée dynamique, en devenir parce que tout est approximatif dans l’Histoire. 


Les hommes si grands dans l’édification, le travail, la recherche, la créativité, l’humanisme peuvent être atroces quand ils laissent parler leurs bas instincts, quand ils taisent leur rationalisme, leur sens de la justesse, de la justice et la voix du cœur.

 

Écrivez-moi, je vous répondrai.

 

S. S-B Z.





                                              Saint-Malo, photo Sophie Granier, août 2022


jeudi 18 août 2022

Parce que rêver a ses exigences, 3

 

 



-       C’est de la grande musique, du grand art. Incomparable.


-       Que signifie grand art ? C’est de l’art. C’est culturel.


-    Tout ce qui est culturel n’est pas grand. C’est un très grand concert et nous venons de quitter quelque chose de céleste.


-   Avoue qu’au bout de 45 minutes, les choses deviennent un peu lassantes.


-       Ce n’est pas faux. N’empêche, c’est du grand art. Ce n’est pas de l’art populaire.


-       Il serait de moindre valeur ?


-       Bien évidemment, voyons ! Là, nous touchons au Divin.


-  Je ne pense pas qu’on puisse hiérarchiser l’art, ni rabaisser l’art populaire.


-       Mais il n’y a aucune comparaison possible. Là, ce sont les cimes !


-     L’art est une expression culturelle, c’est discriminatoire que de procéder à un classement. Il n’y a pas d’art mineur.


-    Je n’ai pas parlé d’art mineur. Par contre, cette musique flirte avec le divin, touche au cosmique. C’est une dimension autre. Elle interpelle notre sensibilité, notre entendement aussi. Cela ne flatte pas nos bas instincts.


-          Une vision sectaire. 


-       Non, c’est réservé aux plus grands décodeurs. Nous ne percevons pas tous les choses de la même manière. Et puis, il y a tout le chantier de la créativité derrière. Aucune commune mesure. L’art populaire n’utilise pas les mêmes ingrédients, n’a pas les mêmes visées, n’agit pas, ou pas de la même manière, n’est pas de cette teneur-là, si teneur il y a.


-       Je te le répète, c’est sectaire.

-       Elitiste, oui. Pourquoi pas ?






mercredi 17 août 2022

Parce que rêver a ses exigences, 2

II. 


                                                  Huile, CP, Sam Sehili-B. Z, 2005


L’âge n’a pas vraiment d’importance en réalité. 

 

C’est le poids des empreintes qui fixe ou notre fraîcheur ou nos plis intérieurs. 

 

Quelles empreintes avez-vous ? est la vraie question. Mais la plus élémentaire des politesses nous interdit la question. 

 

Les plis intérieurs invisibles à l’œil neuf, rangés au fin fond du grenier de soi, par pudeur, pour apaiser l’extérieur ou encore pour se prêter au jeu, sont déterminants dans la connaissance de l’autre. Mais qui, à seize ou à vingt-deux ans, va être curieux des plis intérieurs ? 


Sauf dans le cas d’un stage dans une unité de soins psychologiques ou autres …

 

La fougue juvénile, les interrogations existentielles spontanées et irréfléchies, l’énergie directrice de la fraîcheur de l’âge, les sirènes de l’herméneutique siègent en nous et nous dominent. 

 

Je crois qu’à seize ans, j’avais besoin d’altérité, mais aussi de compréhension de ce qui m’était étranger. Encore aujourd’hui, même si la somme des décodages divers est assez conséquente.





                                                         


 

 

lundi 15 août 2022

Parce que rêver a ses exigences










Maria 







I.

 

"Je ne sais quel est votre regard sur lui. Le mien est neuf, respectueux de l’être, du fond, de la dynamique. De la consistance et de la liberté. Je ne vis pas le désespoir. Plus tard."

 

 

Je crois bien que je n’eus jamais d’adolescence et je passai de l’enfance à l’âge adulte. Et même qu’enfant, j’étais déjà une petite adulte. Vu ainsi et avec le recul, c’est assez insupportable. Peut-être que c’est précisément cela qui me prédisposa aux phrases déclaratives si décriées par les miens aujourd'hui.

 

Oui, ouvrir la bouche pour énoncer des vérités est assez énervant surtout quand on a douze ans. D’autant que ma mère me faisait une raie au milieu, un chignon nuque tressé et m’appelait Maria, parce que j’étais, selon elle, la réplique de Maria Ingalls, sa petite héroïne.

 

C’était l’éducation à la méthode Sainte-Beuve. Les lettrés comprendront. A la Lagarde et Michard. Tout d’un trait, à la perfection, selon une chronologie rigoriste et linéaire.

 

A quatorze ans, je vis chez une amie, un Monsieur digne, réservé, qui parlait peu mais bien. Un homme profond, en charge de deux sœurs et d’un frère. Un vieux de 29 ans qui discutait avec son père. En réalité, c’était le locataire de leur rez-de-chaussée. Il était très sérieux, élégant, moderne et le père disait de lui que c’était un homme et un vrai.

 

Nos amis, qui avaient pour la plupart entre quinze et dix-huit ans, étaient dans l’effervescence de la jeunesse, entre copains-copines, festival, musique, motos et herbes. En vérité, ils n’étaient pas tous gosses de riches comme je le pensais et, même avant d’écouter le Monsieur d’une oreille qui se voulait discrète, je les marquai tous du fer de la sentence draconienne : insignifiants et pourris gâtés. 


Ce que j’étais. Plus le sérieux et un sens du juste assez développé. Je ne tirais de fierté que de ce que je réalisais par moi-même. Et puis, j’avais des géniteurs assez rigoureux dans leurs excès. Pas du côté mère où le rigorisme dominait. Histoire de famille et de pontificat, version du coin.

 

J’appris via ce qu’en disait le père de mon amie que ce Monsieur discret, homme de parole rigoureux s’occupait de la scolarité de ses frère et sœurs. Et ils nous étaient arrivés de les croiser, discrets, un petit bonjour très rapide et ça traçait. Modernes d’allure extérieure, beaux, mais très réservés. 

 

Quel regard avait-il sur nous à cette époque-là ? Je sais tout depuis un bon moment déjà. 

 

La jeunesse est aveugle et bien que l’on se pinçât à ce moment-là pour graver notre saisissement des choses, on ne savait pas encore la possible direction qu’elles pouvaient prendre. Le cœur siégeait. Enfin, je crois.

 

Quand on a quinze ans, que l’on n’a jamais été fou, que l’on est doté d’un sérieux inexpliqué à ce jour, que les livres dominaient notre vie, les livres, le temps des livres, le silence des livres, la teneur des livres … notre regard est différencié et bien que l’on soit très entourée, très courue, on décidait des choses.


C’est ainsi qu’à seize ans, je liai ma vie à un homme de quinze ans mon aîné, qui fut un homme, mais aussi un étranger. Par amour des livres.

 

Comment purent-ils me faire confiance ?

 

Elle force le respect, disaient-ils.

 

A quinze ans ?





                                                   Huile, CP, Sam Sehili B.Z. 2007



dimanche 14 août 2022

Il est temps de mettre la main au gouvernail

 




 I. 



Pleine, débordante, en mouvement oblique perpétuel, vibrant encore du rire truculent de ma PDA, je lui dis le départ et elle me fit la promesse de me couvrir de son iode vivifiant. Je l’aime aux dimensions de l’existence, je l’aime aux dimensions de son débordement, je l’aime comme on aime sa génitrice, comme on aime un homme méritant, comme on aime une pistache verte ou une figue mûre ou une mangue tendre. 


Je l’aime comme on aime la main protectrice d’une mère qui vous caresse le front ; et je rêve de pouvoir, un jour lointain, dormir dans ses creux, emportée par ses méandres. Des bouts de moi, par milliers, en substance à ses créatures. 



Une histoire de désir, mon iodée et moi.









 

 

II.

 

 

Je dis bonjour à JC et je la soupçonne de ne m’avoir pas reconnue. Elle me donna le change, aimable naturellement. Elle portait une robe bleu ciel à petits pois blancs comme on n’en voit plus et elle tombait jusqu’à mi-mollets. Rare, cette longueur, de nos jours. 

Ses cheveux étaient couleur neige et de mémoire de quinqua, elle avait peut-être une dizaine d’années de plus que moi. 

Ou l’une de nous triche ou à cet âge-là, une tête entièrement blanche, était de rigueur.

 

-       Bonjour, vous allez bien ?

-       Bonjour, et vous ? Merci. Vous vous baignerez par ici ?

( Elle fit un geste de la main vers la crique en face de chez eux )

-      Un peu plus à droite, lui dis-je. Vous venez ? J’ai besoin de compagnie.

-       Plus tard, je vous rejoindrai.

 

Vint-elle ? Je ne sais pas. 

 

J’allai vers le profond, fis ma séance de gym aquatique, des séries de dix fois six. Au loin, à me voir marmonner - je comptais mes séries - les baigneurs ont dû penser : voilà la femme au noir qui parle à la Méditerranée.

 

Je le souhaitais fort, mais je savais que ce n’était pas possible. Pourtant, je dis tout à la mer. Mes moments forts, mes moments moins forts, le passé houleux, la passion et les terribles carences des êtres de sensibilité.

 

Dans ses bras, après mes séries de dix fois six, bras et jambes, mes jeux de brasses - pas de crawl aujourd’hui, j’avais mes lunettes et je nageais avec – mes planches bénéfiques à mon dos musclé, je me mis à raconter en pensées à JC, mon livre, ma position toujours dynamique et jamais arrêtée du Conflit, mon désir de justesse et de justice dans l’édification permanente de ladite position, notre passé commun, nos lieux de souvenirs. 

 

J’étais remontée bien plus loin en réalité, les accords de Sykes-Picot, le Traité de Balfour, le mandat britannique, les deux grandes Guerres … Je tournais les pages d’histoire dans ma tête comme on feuillète un livre passionnant avec en prime un souci personnel d’humanisme - je crois. Non, je le sais, à vrai dire - d’élans divers et de désirs de partage.

 



 


                                                      



 

 

III.

 

Je le rencontrai la fois dernière, Boulevards des Capucines. Incidemment. Nous parlâmes de choses et d’autre et je fus encore une fois étonnée de le voir si remué par l’histoire d’Éva. 

 

-       Ce n’est pas si aisé que cela d’oublier, me dit-il.

-       Donnez-vous une chance, répondis-je.

-       Oui, je vais essayer, dit-il.

 

Les affaires de cœur sont compliquées, c’est vrai, mais à un moment, il faut savoir prendre le taureau par les cornes et décider du cours de sa vie.

 

-       Ma vie va et vient sans trop d’implication de ma part, me confia-t-il.

-  Il est temps de mettre la main au gouvernail, lui dis-je, très sérieusement.

 

La passion est très belle, très prenante, mais destructrice. Elle est tyrannique. Le désir y est intense et la vie est désir. Il faut être passé par la case Struggle for life pour être assez tiède avec ces choses-là. Assez amusé. Assez moqueur.

 

-     Aujourd’hui, l’heure est venue de ressembler aux personnes froides de l’intérieur. On y gagne en plis. Et tant pis pour la laideur.

 

Il acquiesça.