mardi 6 août 2019

Lettre à O, II.









« Je t’aime d’un amour vrai, d’un amour rare. Je vous aime d’un amour vrai, d’un amour rare. »


Elle le regarda dans les yeux et lui dit que tous les humains étaient des névrosés. Que le tout consistait à ne pas tomber dans la psychose. Que c’était quand même un cran au-dessus. Et qu’il n’était pas bon en psychanalyse.

-      « Une névrosée qui a édifié, ce n’est pas si mal. »

Il avait cet aiguillon tenace qui le poussait à la mettre hors d’elle et peut-être même à la faire souffrir. Il avait donc souffert. Mais ce n’était pas de la vraie souffrance en comparaison avec d’autres. Une souffrance quand même. C’est dans les solitudes extrêmes que les souffrances prennent de l’inflation. Et c’était un vrai solitaire et une conscience toujours présente. Son tort à elle qui aime tant disséquer psychanalytiquement. Mais pas seulement son tort à elle.

L’amour a ses règles et de toutes la plus importantes est la capacité de se reprendre, de rétropédaler, de corriger ce que dicte l’orgueil obstiné. L’orgueil bête qui nous fait souffrir. 

Tous les amours ne sont pas indispensables. L’amour de l’indignité, sûrement pas. Mais ces pendants de soi sont saisissants. 

Aimer n’autorisera pas des projections de douleurs inutiles ni de manques difficiles ni de rancoeurs injustifiées. Aimer signifie aussi être juste, rigoureux. Surtout que l’entendement existe.

Ce pendant de soi lumineux est immense aujourd’hui. Les battements du cœur ne se tairont pas, jamais. Un souvenir toujours intact celui du dernier soir, celui de cette voix correctrice - à sa convenance - silencieuse aujourd’hui : 

-      Pourquoi ? 

Il ne sait pas. Ou parce que trop debout, trop sûre, trop active, trop combative. Parce qu’entière.

« Je resterai sur mon quant-à-soi par besoin d’apaisement. De part et d’autre. »






jeudi 1 août 2019

Père Vincent Makoumayena et la Parisienne de Saint-Sulpice













23 juillet, église Saint-Sulpice, Saint-Germain des Prés, entretien avec M. Vincent Makoumayena, Père Vincent Makoumayena.

22 juillet au matin, j’appelle l’église pour prendre rendez-vous avec un responsable ecclésiastique. Au bout du fil, mon interlocuteur me répondit qu’un prêtre recevait tous les jours de 7h30 du matin à 18h, je crois.

Arrivée sur place, je compris que la personne que j’eus au téléphone avait pensé que je venais pour me confesser ou être bénie.

Quelques fidèles, des touristes, des cierges, une immense église, qui je pense, remplace en ces temps de chantier, Notre Dame de Paris, aux mains d’experts pour longtemps.

Un ministère, un prêtre, un fidèle un genou à terre, un ventilo, un espace en verre, une porte fermée, Monsieur Vincent Makoumayena, Père Vincent que je ne connaissais pas encore en robe de prêtre confesse ou bénit un fidèle.

Je frappe légèrement à la porte en profane habituée aux services sociaux du monde administratif. Père Vincent me regarda, je compris. A chacun son tour. Ce n’était pas un bureau.

Moi, je venais en intellectuelle au premier sens du mot, habituée à réfléchir, à penser les questions du monde, du haut de ma solitude obligatoire, vitale, quelques heures par jour.
Là, c’était une intimité spirituelle et une demande d’écoute. Je m’assis. Comment ai-je pu ne pas me repenser ? Mais ce n'était pas grave. Et j'aime quand ce n'est pas dramatique ou même tragique dans le domaine religieux.

A la sortie du fidèle, Père Vincent - je fis sa connaissance – m’apprit que là c’était un ministère, qu’il m’accorderait l’entretien à côté, qu’il faudrait revenir une demi-heure plus tard et être à l’heure. Je restai sur place. 

A 14h pile, la porte du confessionnal tout en verre s’ouvrit, Père Vincent en sortit, me fit signe de patienter un instant et revint rapidement sans sa robe blanche et son étole violette. Mais avec son encolure blanche sur sa chemise noire. Une recherche sur les vêtements liturgiques m’apprit par la suite que chaque couleur a une signification. Le violet traduit entre autres la pénitence.



Nous sortîmes de l’église par une porte latérale, longeâmes une ruelle adjacente et rapidement pénétrâmes dans une bâtisse au grand portail et aux murs hauts. Un lieu paisible à l'intérieur avec jardin, en plein Paris. En direction d’un bureau.

-       - La porte restera ouverte, me dit Père Vincent. 

Pour ma part, ce Monsieur qui a accepté de s’entretenir avec moi est Monsieur Vincent Makoumayena, par politesse pour sa personne, ses idées, son avenance. Ce qu’il accepta sans ombrage très rapidement.

Père Vincent m’invita à me poser autour d’une table ronde, il avait un livre en main mais je ne vis pas le titre. Tout le décor était en bois acajou. Cohérent, pensai-je.

J’expliquai à M. Makoumayena ma démarche, ma curiosité. Je lui parlai de mon blog, de mes écrits, d’un de mes amis qui travaille sur les religions depuis longtemps dans sa solitude totale, un peu rude et un peu austère. J’annonçai mes points de réflexion et d’échange avec lui : y a t-il une place pour la religion à notre époque actuelle ? Le monde judéo-chrétien est-il encore solidaire ? Le tronc est-il toujours commun à l’heure des accusations de peuple déicide de la part de nombreux ultras anglo-saxons ? Et le statut de la femme dans les trois religions ? N'est-il pas gravement déplorable ? Et les scandales de pédophilie ? Et l’homosexualité et l’église ? Et l’avortement ? Et le célibat des prêtres, est-ce sensé quand on sait l’existence effective du corps de l’humain ? Et là, je fus insistante et Père Makoumayena fut d’une tolérance remarquable. Mon insistance n’a d’égal que mes convictions intimes des réalités humaines et je crois aussi mon degré aigu d’honnêteté. Je me confondis en excuses à chaque question. Père Makoumayena se prêta à l’entretien avec un esprit d’ouverture évident et me montra l’ouvrage qu’il avait sous la main : Moi et Lui d’Alberto Moravia.

Et l’Islam qu’en pensait-il ? Et les crimes commis en son nom ? Et l’athéisme, le rationalisme, le silence des miracles ? Et les baguettes magiques à l’heure du digital ? Les terres en mer et les mers en terre et je ne sais quoi en asphalte, est-ce encore envisageable à notre époque obligatoirement rationnelle au quotidien  ?

-       - Chaque question en son temps, me dit Père Vincent.

Nous passâmes plus d’une heure à nous entretenir, à bâtons rompus sans fausse pudeur et sans silence.   
C’est que le Monsieur est bardé de diplômes, qu’il a fait des études de philosophie, qu’il vous cite son maître Paul Ricoeur, qu’il a soutenu des travaux de recherches …

La religion continuera, me dit Père Vincent, son espace existe et les erreurs des hommes d’église ne font que nous conforter dans notre foi. Les mythes païens du passé lointain ne faisaient que refléter l’anxiété des hommes. 

Le célibat est un combat pour la vie et le corps, qui existe bien sûr, est une offrande à Dieu. « Lui », dans le livre de Moravia ( Moi et Lui ) est le sexe de l’homme, Eros, me dit-il en me montrant la couverture de son livre. Oui, cela vaut la peine de s’offrir à Dieu à ce point-là, me répondit-il.

-       - L’Occident chrétien qui manque d’hommes d’église n’est-il pas en train de les « recruter » en Afrique maintenant ?

Je fais partie d’un corps, me dit Père Vincent et je crois au partage. Le mode judéo-chrétien reste bien entendu solidaire, il s’agit d’un même tronc. Je me rendrai au Maroc dans quelques jours à Ifrane dans le cadre de la coopération. Je bouge.

L’Islam est une religion monothéiste avec des bases solides et les crimes commis au nom de l’Islam sont une instrumentalisation de cette religion. Dieu ne peut ordonner de tuer. C’est impossible. 

-       - Mais n’est-ce pas des guerres, du sang, du terrorisme ?

Sans aucun doute mais ce sont les hommes et mon maître Paul Ricoeur le soutient : on ne peut critiquer sans connaitre. Connaitre les choses d’abord. C’est primordial.

Je suis Togolais, j’ai fait des études, je réussissais toujours et un jour, je fis le vœu de connaitre l’expérience de l’échec, je ratai mon bac. Ce fut dur mais je ne lâchai rien et j’avançai.

La femme est placée en 2ème position dans la religion chrétienne, c’est la Vierge, puisque le Père, le Fils et le Saint-Esprit constitu( ent ) une seule et même personne.

Dans l’église, nous avons la liberté de quitter à tout moment le diocèse, ce n’est pas une obligation mais une vocation. Parler de Jésus est un ravissement - là il fut épique. Et je notai un vrai transport - je le ferais durant des heures si je pouvais. Dieu nous a tant aimés.

-  - Concrètement, cela veut-il dire quoi, Dieu nous a tant aimés ? Sort-on rassasiés d’une synagogue, d’une église, d’une mosquée ? Et les nécessités du monde, les urgences du monde, le manger, le gîte, la survie ?


-       - Ah, l’athéisme existentiel ! je n’aime pas beaucoup.

-    - Mais vous convenez Père que nous devons nous assurer les choses les plus élémentaires ? Et puis, pourquoi des personnes comme vous ne proposent pas aux chefs hiérarchiques de revoir le célibat des prêtres, les pasteurs se marient bien eux. Vous le savez le corps existe, c’est une réalité physique et dynamique.

-       - Vous êtes au niveau de l’Institution là et elle reste Précédente bien sûr. Et puis il y a la foi pure de ceux qui ont vraiment la Vocation.


Nous parlâmes longuement, du sacrifice humain, de l’Institution et des hommes qui la composent, pris individuellement comme Père Vincent lui-même lors de cet entretien si intéressant aux ramifications et aux digressions nombreuses. D’où l’absence de linéarité de ce compte rendu parce que notre échange eut le dynamisme du ping pong, la détermination du sens qui se veut édifié, le désir de se parler sans hypocrisie. 


Je l’avais dit à M.A., mon amie de l’époque de la faculté, une jeune femme qui a le mérite d’être restée sincère, sans fard, spontanée et remplie de vie quoique trop seule à mon goût et qui m’accompagnait. Je l’avais laissée à l’accueil avec son Mac. Je lui avais dit un peu à la légère et parce que nous aimons l’humour : il me faut un entretien avec un haut gradé de l’église, il le faut ! Dès mon arrivée à Paris. Elle en rit encore " un haut gradé ".

A Saint-Julien-Le-Pauvre, nous étions tombées sur un affréteur de salles : il loue les églises et y organise des concerts. Pas bêtes pour les deux parties inscrites dans les soucis d’un même monde, celui de la matière, imperturbable.

Rendez-vous pris avec un rabbin, un autre avec un imam dans les semaines à venir.

Merci Vincent Makoumayena, aussi ravie que vous de l'échange, parce que vous me l'avez dit. Merci d'avoir été sans chasteté composée. Libre, à votre façon.