I.
Samedi, 29 juin.
J’ouvre les persiennes du bureau, elles donnent sur la rue. L’immense eucalyptus est impassible, à sa place. Il en a vu d’autres. Sa base a craquelé l’épais dallage du trottoir et s’est étalée sur un bout de la chaussée. Je l’ai adopté, il y a quelques années, avec les deux arbres qui sont juste devant chez moi.
Je fais peindre leurs troncs à la chaux, deux fois l’an, pour les prémunir des bestioles. Et j’empêche les bûcherons municipaux de les tondre sauvagement à la fin de l’hiver.
« Mon jardinier le fera, cela vous fera moins d’arbres. »
Je ne leur en veux pas à eux, ce sont des employés sans formation aucune mais aux décideurs stupides et irrespectueux de la nature. Je n’ai jamais compris le bien-fondé de ces rasages. Les arbres savent élaguer d’eux-mêmes. Allez leur expliquer cela !
Il est 6 heures du matin, l’odeur salée de la Méditerranée me parvient jusque devant mon écran, le ciel est bleu, la chaleur est encore supportable, le silence matinal est doux à l’oreille. La clarté de la lumière est intense, c’est une caractéristique d’ici. Quelquefois en arrosant mes plantes, je chausse mes solaires. Impossible pour moi de sortir sans, été comme hiver. Et ce n’est point par coquetterie.
Ecrire est pour moi une respiration, un élagage justement. Ecrire pour raconter, pour décrire, pour faire part, pour rendre compte, pour hurler, pour prendre position, pour dire précisément ce qu’il en est de la politique, de la société, du mensonge, du foutage de gueule, pardonnez-moi.
Et puis il y a écrire pour rêver, pour pleurer, pour se travestir, pour dire sans se mettre à nu. Cela, je le fais souvent en fragments.
II.
Il y a l’histoire d’Eva, d’Enest, de Claire, de Drus qui se complique de plus en plus. Autant Eva est libre, prosaïque, légère, oublieuse autant Claire est dans une Grande démarche de vie, de Beau, de « sentiments vrais », d’amour ad vitam aeternam, de splendeurs …
Enest, lui, retrouve ce goût de la femme dont il a entendu parler avant que les parents de Claire ne lui mettent autour du cou cette chaîne talisman de l’amour de Claire pour lui. Claire si belle et si classe.
Et contre toute attente surgit Drus, simple, clair, épris. Drus à l’écoute prompte, Drus donateur et tellement humain. Un Monsieur pétri de responsabilité et de mesure, de liberté et de labeur, de labeur serein, lui. Drus a l’immense disponibilité à avancer, à monter les marches dans le calme, à ne pas se laisser décourager. Au hasard des routes, il se trouva sur le chemin de Claire, dans sa déroute et sa solitude extrêmes.
Un être de regain Drus, un être de temps. L’ici et le maintenant, dit-il. Drus est un adorateur du Créateur, ce qui lui donne une certitude sur tout, une vraie force. Et quoi que Claire s’amuse de cette prédisposition à se mettre entre les mains d’un Etre transcendantal qui n’existe pas pour elle, elle respectait Drus pour tout ce temps réservé à « la Gratitude » et à la Soumission de soi devant « l’Eternel ».
- J’ai toujours pratiqué la Gratitude, lui dit-il.
Drus est un être de lumière, avec lui-même et avec les autres. Mais il vécut sans opportunités extraordinaires, du moins sur le plan personnel. Il suivit le flux, manqua d’air et avala des couleuvres. Par générosité, pour s’être pris les pieds dans des filets complexes et fantasques. Peu aisés ,ces enchevêtrements...
Drus est une bouffée d’oxygène pour une Claire aux abois. Cependant …
III.
Il y a aussi la terre ferme avec toutes ses incommodités. La terre ferme que l’on veut faire trembler. F.J. est un agitateur de la société civile. Il a en détestation les traîtres et les obscurantistes et Ô combien il a raison. Je le suis comme je suis d’autres aussi et j’analyse, je compare, je fais des recoupements. E.K., un ami breton, m’a demandé, il y a quelque temps, comment j’expliquais la montée du fondamentalisme. J’avais l’intention d’écrire La Lettre à E. mais je n’eus pas le temps de le faire.
- « Ce n’est pas tout à fait du fondamentalisme. »
- « Ah, fit-il. »
Le fondamentalisme est une apparence extérieure inconsciente. Bien sûr, il y eut et il y a encore de vrais égarés même si eux se pensent sur le chemin des Croisades et de la Rédemption. Même que certains s’égarent jusqu’à l’infini, nous l’entendons fréquemment, ici et là. Plus là-bas qu’ici par ailleurs … Un autre sujet celui-là.
Les meilleurs clients des religieux sont les démunis, c’est connu, je n’invente pas le fil à couper le beurre. Le « j’ai totalement raison » de toutes les religions dote de force morale, d’intransigeance, c’est l’alibi de tous les dénuements : je possède la vérité.
Le post-révolutionnaire, même si le terme révolution ne convient pas, a mis un terme à une dictature laide à mourir parce qu’offrant à voir un visage de pseudo perfection.
Le citoyen moyen, la voiture populaire, les micros crédits, la jeunesse heureuse … tous ces mensonges construits de toutes pièces par le despotisme et que nous observons aussi dans les démocraties de tradition en pseudo adéquation avec leurs normes ou leurs insuffisances. Les trois quarts des citoyens d’ici n’y parvenaient, de toute façon, pas. Tout simplement parce que c’étaient de petits luxes.
Avec la déflagration heureuse de la dictature, ce fut et c’est encore la boîte de Pandore. Tous les refoulements, les frustrations, les rancoeurs, le mépris, les discriminations, les projets de revanche, pendant si longtemps nourris, remontent à la surface et chacun se pare comme il peut. Plus de 250 partis politiques dans un paysage hier encore monolithique qui crient à l’unisson leurs fonds de commerce : Dieu, l’amour, l’ouvrier, la rage, la vengeance, la jeunesse, la technocratie, la terre brûlée, les offrandes …