mercredi 6 février 2019

L'identité est aussi une affaire d'eau








Le principe même de l’Existence est le dynamisme, le changement, le cycle de la vie et de la mort, le recommencement, l’Éternel recommencement.

Et puis il y a ces voix chevrotantes qui appellent à la résurgence du passé. Le passé, notre terreau, notre histoire, notre identité – à l’époque des déplacés, des réfugiés, des réfugiés climatiques bientôt.

Le passé est passé et si des pans persistent enrichissons notre présent avec eux. Le passé n’a d’intérêt qu’à travers notre regard, c'est-à-dire notre présent. Notre lecture aussi. Une lecture fouillée, curieuse, scientifique, outillée, comparative.

Quels sens donner à notre terreau-terroir, notre histoire, notre identité ? Sur le plan ontologique tout particulièrement ?

Je suis né en ce point géographique d’une façon totalement arbitraire. En ai-je fait le choix ? Etait-ce mon programme ? Ai-je choisi mes géniteurs, ma couleur de peau, ma langue, ma croyance, ma culture ?

L’histoire de ce point géographique où je suis né est mienne mais l’ai-je voulue ? Y ai-je contribué ? Ou dois-je l’adopter les yeux fermés ? Puis-je exercer ma liberté de lire, d’émettre un avis, d’analyser, de contester ?

Qu’est-ce l’identité ? Mon pays, mon nom, ma couleur ? Et si le manque d’eau m’oblige à migrer ? Si j’émets le désir de changer de nom ou d’adopter celui de ma grand-mère que j’aimais plus que tout au monde ? Et si mon union avec celle que j’aime et dont la couleur diffère de la mienne nous donne une progéniture différenciée, quelle sera ma race ? La mienne ou celle de mon enfant ?

Selon d’éminents spécialistes, les prochaines guerres se feront autour de l’eau. Allez parler d’identité à ce moment-là.

L’identité est un concept dangereux et creux. Nous sommes tous des êtres humains venus au monde selon les lois du pur hasard. Le reste est juste notre capacité à nous adapter. Pour survivre, on ne fait pas la fine bouche. Les Syriens qui vivent à Paris en ce moment seront les Français des prochaines décennies. Le statu quo des frontières est juste un repérage plutôt pratique, nous en convenons. Mais l’Histoire est précisément la preuve que le tissu identitaire est fait de mille mailles. Emmailler-démailler est le principe même de la composition des sociétés humaines. 
Criez donc à la race pure dans un sursaut de moi hypertrophié ou de surmoi sublimé selon la formule consacrée.


Les conservateurs portent des œillères, leur champ de vision est restreint, ils sont nerveux et obstinés. Ils trépignent, font du surplace. On ne refait pas le monde avec de l’immobilisme, du statique, des tabous, de la morale étriquée, des idées répétées et « indécrottables ».

Le mouvement est inscrit dans la nature, en nous. Il est le principe même de l’Existence. Où sont nos géniteurs, notre terre, notre enfance, nos dents de lait, nos souvenirs mêmes ?

En quoi vouloir ramener le passé peut-il nous aider à avancer ? Quelle est déjà la valeur du passé ? Un tremplin, un enseignement, des réussites, des échecs, des leçons.

Conserver les vestiges du passé est une entreprise à visée didactique. Parce que tout est porteur de sens. Ce sont des traces de significations antérieures qui peuvent toujours se rapprocher de celles du présent. Parce que de tout temps, l’impératif de l’Existant a été et est de se conserver.

Avançons avec une connaissance du passé, accédons à d’autres paliers, conservons les étages inférieurs et entretenons-les, étudions-les, connaissons-nous tous les jours un peu plus, mais que la direction soit devant.

Et quoi qu’on donne comme sens au terreau-terroir, à l’histoire, à l’identité, préparez-vous à vous déplacer les jours de grosses pluies, les soirs de tremblements de terre, les temps futurs et proches d’épuisement des sources, pour ne citer que les manifestations naturelles et préparez-vous à changer de route, de nom et d’histoire.

Parce que c’est là précisément que se trouve la vraie signification de l’Histoire.





dimanche 3 février 2019

Vision patriotique du Dr Chafik Chelly



                                                                 




Cher Dr Chafik Chelly,

Votre réponse m’a beaucoup émue, elle est belle d’intelligence et d’esprit d’ouverture au dialogue et à la liberté d’être et de dire. C’est rare par ici. Je veux dire dans le monde arabe d’une façon générale bien que l’on parle souvent de l’exception tunisienne. Oui, peut-être, un peu, avec vous en tout cas, dans cette réflexion.

Vous transcendez votre personne, ce qui ne doit pas être très aisé, pour avancer la possibilité d’une "envie de pardon". Du moins suite à nos échanges. C’est, m’est avis, la définition même de l’Histoire. Il n’y a que l’intelligence et le recul qui autorisent cela.

L’Humanisme, le vôtre, le mien je crois – c’est du moins mon objectif le plus fondamental – est la plus grande des richesses. Une vraie perspicacité et une sagesse tranquille. J’essaye, pour ma part, de l’adopter dans toutes mes recherches comme unique démarche afin de garder un regard juste : un vrai travail d’équilibriste mais aussi une satisfaction personnelle.

Les politiques, ces ambitieux quelquefois patriotes, sont des jongleurs, des égotistes aussi, c’est évident. Des metteurs en scène de leur moi personnel. Il arrive dans le meilleur des cas que leur désir de scène amplifie l’amour de leur patrie et que, soit d’eux-mêmes ou de conseillers oubliés fréquemment par l’Histoire, un programme de réparation sociale, économique ou politique suive. Sachant que c’est inégal et qu’un aspect peut être au-dessus de l’autre ; comme il est possible d’omettre peu ou prou un des trois. Tous des fondamentaux pourtant.

La politique est ce que vous avez dit, elle l’est crûment. Sauf pour les Inconscients. Elle est ruse, palabre, déblatération, remplissage, mensonges éhontés, persuasion fallacieuse … et bien plus cruel que cela.

Et, je le pense, l’opposant vrai et coriace est l’humaniste. Et je le sais, nous le savons, le fonds de commerce du politique est l’Inconscient, aubaine électorale. 
Ils pullulent en ce moment, dans tous les sens.


Si Chafik, l’Histoire de la Tunisie n’a pas commencé en 1957, ni en 1987, ni en 2011. Elle est bien plus vieille que cela. Sauf que le Tunisien manque encore de rigueur scientifique, historique et surtout psychologique. Elle n’a pas commencé non plus en 1574. Notre pays a vu passer plusieurs colons, les Capsiens, les Puniques, les Vandales, les Arabes, les Espagnols, l’Empire ottoman, les Français.

Ai-je omis quelques-uns ?

Et les colons d’aujourd’hui aussi, trop diffus pour l’heure. Toute colonisation a son faire, sa démarche, ses slogans, sa propagande, ses soumis, ses récalcitrants, ses fantassins, ses traîtres, ses hommes de main, ses tueurs à gages …

Aujourd’hui, ses pages sur les réseaux sociaux, ses pirates, ses hackers … Les avancées servent et desservent.

Bourguiba a été un dictateur mais un dictateur éclairé et, pour ma part, Mathilde Lorrain y a contribué. Mais l’Histoire en parle peu. Société patriarcale et statut de femme obligent.

Je pense que les deux prouesses de Bourguiba ont été l’imposition de l’école pour tous et la libération de la femme, même si certains « crient » à son instrumentalisation; pas à cette époque-là.

Sa période phare 55-75. Ses talons d’Achille : le despotisme, le culte de la personnalité, l’entourage véreux de la fin de règne mais il était déjà sénile. Bien sûr, la présidence à vie. Bourguiba n’a pas accepté l’idée de l’alternance du pouvoir à une époque où il y avait un vrai souffle patriotique, pas mal d’hommes forts et une poignées de femmes. Cela a été le cas de presque tous les pays anciennement colonisés à l’exception du Sénégal, Senghor et la passation à Diouf. Si je ne m’abuse.

Le culte de la personnalité. Le Chef, le Combattant, le Leader, le Père … La Grosse Imposture. Depuis des temps immémoriaux. Le Mensonge et l’Epopée. On a besoin de Croire.

Mentir, endoctriner empêchent-t-ils d’œuvrer ? Assurément non. Bourguiba a fait de grandes réalisations mais les derniers temps ont été honteux – Regardons Bouteflika aujourd’hui, c’est comme si l’Algérien était un demeuré.

Ben Ali a fait construire des routes et des échangeurs. Sur le plan de la structure citoyenne, il a été au-delà de nul. Le Vivre correct, El Aich El Karim, La Joie des jeunes Tunisiens ( l'affreux Farhet chebeb Tounès ) et la voiture populaire, le bac à moins 25 pour cent et les spéculations de toutes sortes. Et tout le reste, la mafia, l’obscénité, la répression …

La République est malmenée, bien sûr c’est le cours de l’Histoire mais c’est aussi l’action des hommes. Agir. Un verbe qui n’a toujours pas son sens véritable dans notre pays. 

Il m’arrive beaucoup de réfléchir et quelquefois je me dis que même aux EU, la supposée plus grande démocratie du monde, arrivé à mi-mandat, un président ne fait quasiment plus rien à part assurer la relève à son camp. Deux ans en politique c’est à peu près une après-midi chez Monsieur tout le monde. C'est-à-dire RIEN. Maintenant en Occident, il y a un feedback, on est mis sur la sellette, c’est un vrai métier. D’ordinaire, du moins.

Cher Si Chafik, vous m’écriviez que les derniers beys étaient tous destouriens ou presque tous destouriens, c’était louable mais c’était en même temps un signe de distance vis-à-vis de la politique de terrain. C’était l’émergence d’une classe de politiciens de l’extérieur du sérail et c’était précisément l’erreur. Même si pour ma part c’était le cours de l’Histoire essentiellement.

Cela prouvait deux faits. 

1. Les Beys ne régnaient plus qu’en devanture. 

2. Les commandes leur échappaient, la réalité ne leur était plus visible. 
Le lot de tout système politique qui a trop perduré. Voilà pourquoi l’alternance du pouvoir est une exigence indépassable en République pour peu que les choses ne deviennent pas uniquement affaire de fonds.

Il est impératif également que le politique sache aujourd’hui qu’il est un commis de l'Etat chargé d’améliorer le secteur dont il a la charge, qu’il est payé par le contribuable, que ces « privilégiés de la République » reviennent trop cher à la communauté et qu’il est donc plus qu’urgent de réduire leurs avantages.

Cher Docteur Chelly, vous qui êtes un spécialiste de la vue, de la justesse visuelle la plus approchante de ce qui Est, que vous demandiez à nos compatriotes d’apprendre à réfléchir par eux-mêmes, « d’apprendre à douter », en cette période où on essaye de les tromper par tous les moyens et surtout par les plus irrationnels afin de cultiver cette pâte à modeler Inconsciente à souhait et à desseins surtout, que vous leur demandiez de faire preuve de conscience politique est en lui-même un geste hautement citoyen.

Je vous en remercie pour eux, nos Compatriotes.

Oui une réconciliation vraie, un rigoureux travail d’Histoire, aujourd’hui que la parole est libre. Et aussi une implication politique effective afin de ne pas être considéré comme un beau vestige du passé. Nous tous, Tunisiens de qualité, oui de qualité intellectuelle, nous devrions nous unir, participer, tonner, prendre part, revendiquer, proposer, nous retrousser les manches, INNOVER, pour ce pays qui est le nôtre, qui est aujourd’hui une proie pour des colons sans nom pour l’heure mais dont le projet n’est pas tunisien, n’est pas civil mais liberticide et « pan dogmatique ». Nous la société civile.

Que l’enfant du fin fond de Gafsa ou de Tataouine puisse aller à l’école, s’exercer sur le terrain de sport, lire en bibliothèque et prendre la parole en cours de philo.

Peu importe la tendance politique, même si pour ma part, je demeurerai une républicaine pur jus pour une raison tout simplement humaniste : non aux castes, à l’esprit de caste. Oui à l’intelligence personnelle, à l’effort méritoire, au titre arraché avec son labeur propre, à la détermination, au souffle long.

Cher Si Chelly, je suis quant à moi positive, je reste déterminée à agir à partir de mon petit moi, l’Histoire sera continuité, il lui faudra encore du temps. Elle ne peut être caprice parce qu’il y a des personnes qui pensent, qui s’interrogent comme vous, comme d’autres Concitoyens et Concitoyennes, qui exigent, qui proposent …

Faire est le seul verbe qui vaille et de vous lire écrire « une envie de pardon » est une preuve irréfutable de votre attachement à ce petit bout de pays qui est le vôtre, le nôtre et le leur : tous les Tunisiens.

Merci de cet échange si riche d’Histoire mais surtout d’à-venir.

Bien à vous, avec toute ma haute estime Docteur.