Votre réponse m’a beaucoup émue, elle est belle d’intelligence
et d’esprit d’ouverture au dialogue et à la liberté d’être et de dire. C’est
rare par ici. Je veux dire dans le monde arabe d’une façon générale bien que l’on
parle souvent de l’exception tunisienne. Oui, peut-être, un peu, avec vous en
tout cas, dans cette réflexion.
Vous transcendez votre personne, ce qui ne doit pas être très
aisé, pour avancer la possibilité d’une "envie de pardon". Du moins suite à nos
échanges. C’est, m’est avis, la définition même de l’Histoire. Il n’y a que l’intelligence
et le recul qui autorisent cela.
L’Humanisme, le vôtre, le mien je crois – c’est du moins mon
objectif le plus fondamental – est la plus grande des richesses. Une vraie
perspicacité et une sagesse tranquille. J’essaye, pour ma part, de l’adopter
dans toutes mes recherches comme unique démarche afin de garder un regard juste :
un vrai travail d’équilibriste mais aussi une satisfaction personnelle.
Les politiques, ces ambitieux quelquefois patriotes, sont des
jongleurs, des égotistes aussi, c’est évident. Des metteurs en scène de leur
moi personnel. Il arrive dans le meilleur des cas que leur désir de scène
amplifie l’amour de leur patrie et que, soit d’eux-mêmes ou de conseillers
oubliés fréquemment par l’Histoire, un programme de réparation sociale,
économique ou politique suive. Sachant que c’est inégal et qu’un aspect peut
être au-dessus de l’autre ; comme il est possible d’omettre peu ou prou un
des trois. Tous des fondamentaux pourtant.
La politique est ce que vous avez dit, elle l’est crûment.
Sauf pour les Inconscients. Elle est ruse, palabre, déblatération, remplissage,
mensonges éhontés, persuasion fallacieuse … et bien plus cruel que cela.
Et, je le pense, l’opposant vrai et coriace est l’humaniste.
Et je le sais, nous le savons, le fonds de commerce du politique est l’Inconscient,
aubaine électorale.
Ils pullulent en ce moment, dans tous les sens.
Si Chafik, l’Histoire de la Tunisie n’a pas commencé en 1957,
ni en 1987, ni en 2011. Elle est bien plus vieille que cela. Sauf que le
Tunisien manque encore de rigueur scientifique, historique et surtout
psychologique. Elle n’a pas commencé non plus en 1574. Notre pays a vu passer
plusieurs colons, les Capsiens, les Puniques, les Vandales, les Arabes, les
Espagnols, l’Empire ottoman, les Français.
Ai-je omis quelques-uns ?
Et les colons d’aujourd’hui aussi, trop diffus pour l’heure.
Toute colonisation a son faire, sa démarche, ses slogans, sa propagande, ses
soumis, ses récalcitrants, ses fantassins, ses traîtres, ses hommes de main,
ses tueurs à gages …
Aujourd’hui, ses pages sur les réseaux sociaux, ses pirates,
ses hackers … Les avancées servent et desservent.
Bourguiba a été un dictateur mais un dictateur éclairé et,
pour ma part, Mathilde Lorrain y a contribué. Mais l’Histoire en parle peu.
Société patriarcale et statut de femme obligent.
Je pense que les deux prouesses de Bourguiba ont été l’imposition
de l’école pour tous et la libération de la femme, même si certains « crient »
à son instrumentalisation; pas à cette époque-là.
Sa période phare 55-75. Ses talons d’Achille : le despotisme,
le culte de la personnalité, l’entourage véreux de la fin de règne mais il
était déjà sénile. Bien sûr, la présidence à vie. Bourguiba n’a pas accepté l’idée
de l’alternance du pouvoir à une époque où il y avait un vrai souffle
patriotique, pas mal d’hommes forts et une poignées de femmes. Cela a été le cas de
presque tous les pays anciennement colonisés à l’exception du Sénégal, Senghor
et la passation à Diouf. Si je ne m’abuse.
Le culte de la personnalité. Le Chef, le Combattant, le
Leader, le Père … La Grosse Imposture. Depuis des temps immémoriaux. Le Mensonge
et l’Epopée. On a besoin de Croire.
Mentir, endoctriner empêchent-t-ils d’œuvrer ? Assurément
non. Bourguiba a fait de grandes réalisations mais les derniers temps ont été
honteux – Regardons Bouteflika aujourd’hui, c’est comme si l’Algérien était un
demeuré.
Ben Ali a fait construire des routes et des échangeurs. Sur
le plan de la structure citoyenne, il a été au-delà de nul. Le Vivre correct, El Aich El Karim, La Joie des jeunes Tunisiens ( l'affreux Farhet chebeb Tounès ) et
la voiture populaire, le bac à moins 25 pour cent et les spéculations de toutes
sortes. Et tout le reste, la mafia, l’obscénité, la répression …
La République est malmenée, bien sûr c’est le cours de l’Histoire
mais c’est aussi l’action des hommes. Agir. Un verbe qui n’a toujours pas son
sens véritable dans notre pays.
Il m’arrive beaucoup de réfléchir et quelquefois
je me dis que même aux EU, la supposée plus grande démocratie du monde, arrivé
à mi-mandat, un président ne fait quasiment plus rien à part assurer la relève
à son camp. Deux ans en politique c’est à peu près une après-midi chez Monsieur
tout le monde. C'est-à-dire RIEN. Maintenant en Occident, il y a un feedback,
on est mis sur la sellette, c’est un vrai métier. D’ordinaire, du moins.
Cher Si Chafik, vous m’écriviez que les derniers beys étaient
tous destouriens ou presque tous destouriens, c’était louable mais c’était en même
temps un signe de distance vis-à-vis de la politique de terrain. C’était l’émergence
d’une classe de politiciens de l’extérieur du sérail et c’était précisément l’erreur.
Même si pour ma part c’était le cours de l’Histoire essentiellement.
Cela prouvait deux faits.
1. Les Beys ne régnaient plus qu’en
devanture.
2. Les commandes leur échappaient, la réalité ne leur était plus
visible.
Le lot de tout système politique qui a trop perduré. Voilà pourquoi l’alternance
du pouvoir est une exigence indépassable en République pour peu que les choses
ne deviennent pas uniquement affaire de fonds.
Il est impératif également que le politique sache aujourd’hui
qu’il est un commis de l'Etat chargé d’améliorer le secteur dont il a la charge, qu’il
est payé par le contribuable, que ces « privilégiés de la République »
reviennent trop cher à la communauté et qu’il est donc plus qu’urgent de
réduire leurs avantages.
Cher Docteur Chelly, vous qui êtes un spécialiste de la vue,
de la justesse visuelle la plus approchante de ce qui Est, que vous demandiez à
nos compatriotes d’apprendre à réfléchir par eux-mêmes, « d’apprendre à
douter », en cette période où on essaye de les tromper par tous les moyens
et surtout par les plus irrationnels afin de cultiver cette pâte à modeler
Inconsciente à souhait et à desseins surtout, que vous leur demandiez de faire
preuve de conscience politique est en lui-même un geste hautement citoyen.
Je vous en remercie pour eux, nos Compatriotes.
Oui une réconciliation vraie, un rigoureux travail d’Histoire,
aujourd’hui que la parole est libre. Et aussi une implication politique effective
afin de ne pas être considéré comme un beau vestige du passé. Nous tous,
Tunisiens de qualité, oui de qualité intellectuelle, nous devrions nous unir,
participer, tonner, prendre part, revendiquer, proposer, nous retrousser les
manches, INNOVER, pour ce pays qui est le nôtre, qui est aujourd’hui une proie
pour des colons sans nom pour l’heure mais dont le projet n’est pas tunisien, n’est
pas civil mais liberticide et « pan dogmatique ». Nous la société civile.
Que l’enfant du fin fond de Gafsa ou de Tataouine puisse
aller à l’école, s’exercer sur le terrain de sport, lire en bibliothèque et
prendre la parole en cours de philo.
Peu importe la tendance politique, même si pour ma part, je
demeurerai une républicaine pur jus pour une raison tout simplement humaniste :
non aux castes, à l’esprit de caste. Oui à l’intelligence personnelle, à l’effort
méritoire, au titre arraché avec son labeur propre, à la détermination, au souffle long.
Cher Si Chelly, je suis quant à moi positive, je reste
déterminée à agir à partir de mon petit moi, l’Histoire sera continuité, il lui
faudra encore du temps. Elle ne peut être caprice parce qu’il y a des personnes
qui pensent, qui s’interrogent comme vous, comme d’autres Concitoyens et Concitoyennes, qui exigent, qui proposent …
Faire est le seul verbe qui vaille et de vous lire écrire « une
envie de pardon » est une preuve irréfutable de votre attachement à ce
petit bout de pays qui est le vôtre, le nôtre et le leur : tous les
Tunisiens.
Merci de cet échange si riche d’Histoire mais surtout d’à-venir.
Bien à vous, avec toute ma haute estime Docteur.