La République tunisienne fait
sa crise de milieu de vie et afin qu'elle puisse avancer, elle regarde derrière :
le passé. Logique.
Les verrous ont sauté après le changement de 2011. Je ne
dirai pas révolution personnellement. Plutôt ras-le-bol, d'abord orchestré de
l'extérieur, et le peuple n'attendait que cela. Tant mieux.
Touillage extérieur, élan
national, souffle épique, émeutes, répression, martyrs, libération.
Les verrous n'ont pas sauté, ils ont explosé et les 23 ans de
Ben Ali peuvent s'offrir aux yeux de tous, du moins sur le plan scolaire,
instructif, culturel, le plan des apprentissages tous azimuts : l'être abêti
dans toute sa splendeur. Le programme benaliste sur le plan instructif a
focalisé sur l'abrutissement national et cela a très bien marché.
Alors de tout :
salafisme, takfirisme, associations aux fonds plus que douteux, écoles
coraniques, commerces d’émollients halal, d’encens aphrodisiaques halal, d’huiles
essentielles bénites, de « livres » explicatifs de comment se
regarder halal, s’accoupler halal, procréer halal même en dehors des liens pas
si sacrés que cela du mariage … Bref, des petits commerces florissants sur le
modèle du « made in China » mais d’inspiration religieuse et surtout
de mobile Maîtresse Thune. Et les clients sont là, soucieux de tout faire, comme
il faut, dans la légalité et le savoir des marchands ambulants.
Politique nouvelle, d’apprenti
sorcier, participation de toutes les obédiences, retour des expatriés de droite
et de gauche, retour des islamistes lovés dans les bras des Anglais ou d’autres,
accueil du chef du parti islamiste, vrai messie pour certains, nombreux; tous les fracturés sociaux, ceux qui n’ont jamais eu voix au chapitre, les
oubliés ; le Sud explosif plutôt « El ouma el arabia »,
nationaliste, proche du discours kadafiste traditionnellement, notamment vers
la 2ème moitié du XXème siècle. Cette Tunisie-là a été, plutôt, oubliée sous
Bourguiba et laissée pour compte sous Ben Ali.
Les harangues d’inspiration
moraliste et religieuse ont eu le vent en poupe. Elles s’adressent aux manques,
aux insuffisances. Elles flattent l’identité et exacerbent la violence. Les
plus démunis d’entre nous et tout particulièrement, sur le plan intellectuel, gardent
tenaces frustrations et complexes, d’autant que politiquement il n’y eut pas d’encadrements,
de propositions sociales et professionnelles de valorisation de soi. Le feu aux
poudrières. Toutes les droites se nourrissent d’insuffisance et de repères
identitaires dangereux.
Dans un pays de politique
musclée et de traditions répressives, quand la chape de plomb a sauté, le
pouvoir se fragmente et devient à portée de tous. D’autant plus houleux que le
canevas psychologique et social ne connait pas spécialement le self control, le
recours au rationnel et la capacité d’agir après réflexion. Nous voilà donc
entre prédicateurs, cheikhs, guérisseurs et proclamateurs de fatwas. Touillez,
touillez, ce n’est que du bon, murmurent entre eux les fous du pouvoir !
Et les médias relayent.
Tout et n’importe quoi. Et les réalisateurs s’y mettent, retour à l’Histoire.
Et M. Tout-le-monde analyse, critique, conteste, tape du poing, nie, oublie,
casse et vocifère.
Bourguiba remonte à la
surface, il est instrumentalisé, béni, idolâtré et est revêtu de sex-appeal et
cela marche.
Les « royalistes »
lèvent la tête sous la provocation, condamnent leur pire ennemi, sortent les
princes réformateurs des oubliettes, oublient des pans peu glorieux de l’Histoire
et reprennent un pronom personnel insupportable où, par la force des choses,
ils sont inexistants : « nous ». Ou encore un déterminant possessif
des plus tyranniques : « notre ».
Ainsi, sur une station radio,
un jeune acteur novice - qui réussit certes – descendant de la famille
beylicale et qui campe le rôle d’un des beys de l’époque husseinite s’exprime à
propos de la série dans laquelle il a joué non pas en tant qu’acteur mais en
tant que monarque svp : « nous,
ma famille, le bey, mon aïeul » et tout logiquement « moi ». Il
s’était mêlé les pinceaux dans une inconscience totale. Et dans l’indifférence
du journaliste. Retour à la monarchie du moins dans les studios de Mosaique FM.
Les lendemains d’un
changement politique de cette envergure ne sont pas faciles. La démocratie a
besoin de construire ses assises. Ce sera lent et nécessairement laborieux. La
première condition est le respect des urnes. Nous y sommes. Le diktat d’une
majorité peu outillée intellectuellement, socialement, économiquement,
politiquement. Ajoutons à cela, des oligarchies orientales à qui l’expérience
embryonnaire tunisienne déplaît, qui ont hai et haissent Bourguiba, son
modernisme, son républicanisme et qui ont appris l’importance du jeu du pouvoir
géostratégique américain entre autres ou surtout, qui ont de l’argent à en distribuer
et qui sont nargués par la femme libre tunisienne.
Ceux-là s’introduisent sournoisement,
payent grassement et ne savent qu’acheter. Ils veulent faire capoter, ils
veulent avancer leurs pions, ils veulent soumettre. Cette gamme-là sait le
sex-appeal de l’argent et beaucoup s’écrasent, se laissent graisser la patte et
adoptent vite fait le modèle du désormais maître : barbe, chapelet,
prières ostentatoire et mashallah et ramadan karim : des résonnances du
golf, étrangères à la spécificité du pays : sa tunisianité.
Bien entendu, derrière cet
écran glacé en tunique blanche et savate noire, il y a une autre réalité :
luxure, déviances de toutes sortes et plaisirs concupiscents.
La Tunisie se bat aujourd’hui,
à la force du poing, du poing nu. Sa carte maîtresse : la société civile.
Son atout majeur, irrévocable, féroce : la femme libre. Son handicap :
l’inculture générale et le profil psychologique dominant : l’irrespectueux
agressif.
Un pas et pas des moindres :
tous les tabous sont abordés : corruption, homosexualité, drogue, pratiques
religieuses, athéisme et d’autres viendront.
Ce sera lent et laborieux
et la relâche de ceux pour qui l’engagement est un devoir sacré sera
déterminante. Des années de contestations seront incontournables. Courage mes
Amis.
Très beau texte, comme d'habitude, chère Sam.
RépondreSupprimerLe diagnostic est presque parfait. Reste le traitement Docteur !
Pour l'avenir, le vecteur est tracé : Direction, sens, objectif... Mais c'est le Comment qui pose problème. "Unir les forces démocratiques" me diras-tu. Oui, mes que faire avec ces malheureux freins qui sont les "égos" ?
Cher Si Mounir, les égos, une vraie tare en effet. Peut-être, justement, gommer chaque égo pour en construire un de groupe : les Sauveurs. C'est dur et laid. Quand on sait l'objectif fondamental.
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