jeudi 21 juin 2018

Tunisie démocratique : accouchement au forceps


La République tunisienne fait sa crise de milieu de vie et afin qu'elle puisse avancer, elle regarde derrière : le passé. Logique.
Les verrous ont sauté après le changement de 2011. Je ne dirai pas révolution personnellement. Plutôt ras-le-bol, d'abord orchestré de l'extérieur, et le peuple n'attendait que cela. Tant mieux.

Touillage extérieur, élan national, souffle épique, émeutes, répression, martyrs, libération.
Les verrous n'ont pas sauté, ils ont explosé et les 23 ans de Ben Ali peuvent s'offrir aux yeux de tous, du moins sur le plan scolaire, instructif, culturel, le plan des apprentissages tous azimuts : l'être abêti dans toute sa splendeur. Le programme benaliste sur le plan instructif a focalisé sur l'abrutissement national et cela a très bien marché.

Alors de tout : salafisme, takfirisme, associations aux fonds plus que douteux, écoles coraniques, commerces d’émollients halal, d’encens aphrodisiaques halal, d’huiles essentielles bénites, de « livres » explicatifs de comment se regarder halal, s’accoupler halal, procréer halal même en dehors des liens pas si sacrés que cela du mariage … Bref, des petits commerces florissants sur le modèle du «  made in China » mais d’inspiration religieuse et surtout de mobile Maîtresse Thune. Et les clients sont là, soucieux de tout faire, comme il faut, dans la légalité et le savoir des marchands ambulants.
Politique nouvelle, d’apprenti sorcier, participation de toutes les obédiences, retour des expatriés de droite et de gauche, retour des islamistes lovés dans les bras des Anglais ou d’autres, accueil du chef du parti islamiste, vrai messie pour certains, nombreux; tous les fracturés sociaux, ceux qui n’ont jamais eu voix au chapitre, les oubliés ; le Sud explosif plutôt « El ouma el arabia », nationaliste, proche du discours kadafiste traditionnellement, notamment vers la 2ème moitié du XXème siècle. Cette Tunisie-là a été, plutôt, oubliée sous Bourguiba et laissée pour compte sous Ben Ali.
Les harangues d’inspiration moraliste et religieuse ont eu le vent en poupe. Elles s’adressent aux manques, aux insuffisances. Elles flattent l’identité et exacerbent la violence. Les plus démunis d’entre nous et tout particulièrement, sur le plan intellectuel, gardent tenaces frustrations et complexes, d’autant que politiquement il n’y eut pas d’encadrements, de propositions sociales et professionnelles de valorisation de soi. Le feu aux poudrières. Toutes les droites se nourrissent d’insuffisance et de repères identitaires dangereux.
Dans un pays de politique musclée et de traditions répressives, quand la chape de plomb a sauté, le pouvoir se fragmente et devient à portée de tous. D’autant plus houleux que le canevas psychologique et social ne connait pas spécialement le self control, le recours au rationnel et la capacité d’agir après réflexion. Nous voilà donc entre prédicateurs, cheikhs, guérisseurs et proclamateurs de fatwas. Touillez, touillez, ce n’est que du bon, murmurent entre eux les fous du pouvoir !
Et les médias relayent. Tout et n’importe quoi. Et les réalisateurs s’y mettent, retour à l’Histoire. Et M. Tout-le-monde analyse, critique, conteste, tape du poing, nie, oublie, casse et vocifère.
Bourguiba remonte à la surface, il est instrumentalisé, béni, idolâtré et est revêtu de sex-appeal et cela marche.
Les « royalistes » lèvent la tête sous la provocation, condamnent leur pire ennemi, sortent les princes réformateurs des oubliettes, oublient des pans peu glorieux de l’Histoire et reprennent un pronom personnel insupportable où, par la force des choses, ils sont inexistants : « nous ». Ou encore un déterminant possessif des plus tyranniques : « notre ».
Ainsi, sur une station radio, un jeune acteur novice - qui réussit certes – descendant de la famille beylicale et qui campe le rôle d’un des beys de l’époque husseinite s’exprime à propos de la série dans laquelle il a joué non pas en tant qu’acteur mais en tant que monarque svp : « nous, ma famille, le bey, mon aïeul » et tout logiquement « moi ». Il s’était mêlé les pinceaux dans une inconscience totale. Et dans l’indifférence du journaliste. Retour à la monarchie du moins dans les studios de Mosaique FM.

Les lendemains d’un changement politique de cette envergure ne sont pas faciles. La démocratie a besoin de construire ses assises. Ce sera lent et nécessairement laborieux. La première condition est le respect des urnes. Nous y sommes. Le diktat d’une majorité peu outillée intellectuellement, socialement, économiquement, politiquement. Ajoutons à cela, des oligarchies orientales à qui l’expérience embryonnaire tunisienne déplaît, qui ont hai et haissent Bourguiba, son modernisme, son républicanisme et qui ont appris l’importance du jeu du pouvoir géostratégique américain entre autres ou surtout, qui ont de l’argent à en distribuer et qui sont nargués par la femme libre tunisienne.
Ceux-là s’introduisent sournoisement, payent grassement et ne savent qu’acheter. Ils veulent faire capoter, ils veulent avancer leurs pions, ils veulent soumettre. Cette gamme-là sait le sex-appeal de l’argent et beaucoup s’écrasent, se laissent graisser la patte et adoptent vite fait le modèle du désormais maître : barbe, chapelet, prières ostentatoire et mashallah et ramadan karim : des résonnances du golf, étrangères à la spécificité du pays : sa tunisianité.
Bien entendu, derrière cet écran glacé en tunique blanche et savate noire, il y a une autre réalité : luxure, déviances de toutes sortes et plaisirs concupiscents.
La Tunisie se bat aujourd’hui, à la force du poing, du poing nu. Sa carte maîtresse : la société civile. Son atout majeur, irrévocable, féroce : la femme libre. Son handicap : l’inculture générale et le profil psychologique dominant : l’irrespectueux agressif.
Un pas et pas des moindres : tous les tabous sont abordés : corruption, homosexualité, drogue, pratiques religieuses, athéisme et d’autres viendront.
Ce sera lent et laborieux et la relâche de ceux pour qui l’engagement est un devoir sacré sera déterminante. Des années de contestations seront incontournables. Courage mes Amis.



2 commentaires:

  1. Très beau texte, comme d'habitude, chère Sam.
    Le diagnostic est presque parfait. Reste le traitement Docteur !
    Pour l'avenir, le vecteur est tracé : Direction, sens, objectif... Mais c'est le Comment qui pose problème. "Unir les forces démocratiques" me diras-tu. Oui, mes que faire avec ces malheureux freins qui sont les "égos" ?

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    1. Cher Si Mounir, les égos, une vraie tare en effet. Peut-être, justement, gommer chaque égo pour en construire un de groupe : les Sauveurs. C'est dur et laid. Quand on sait l'objectif fondamental.

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