4 juin, 21h30, un café sur les hauteurs de Gammarth, nous voulions éviter le tohu-bohu des cafés ramadanesques aux senteurs de narguilés.
Mounir Charfi, Fethi Jelassi, Nabil ben Azzouz, Houssem Hammi, Amina Arfaoui, Kaouther Yatouji, Amina Ben Khalifa, moi-même, nous étions donnés rendez-vous dans un seul objectif : échanger politiquement sur " le drôle de pays ". L'idée trottait dans la tête depuis un moment et puis avec Houssem Hammi, jeune quadra investi dans la société civile, d'autres rencontres du même genre avaient déjà eu lieu.
Je crois que le discours de YC a fait précipiter les choses et un besoin urgent d'échanger politiquement s'est imposé de lui même. Nous sommes presque tous, je pense, trempés dans la politique, à différents degrés et de différentes façons. De même obédience, je crois savoir, des Modernistes confirmés en tous les cas.
Il me semble que nous sommes tous dans l'écœurement de la politique du moment, dans l'écœurement des noms que martèlent les médias, des médias eux-mêmes souvent dénués d'une déontologie de base, une ARP loufoque, de hurlements, de discrédit, d'insultes, de grossièretés et depuis peu de soupçons de corruption dans la gestion du budget de l'Assemblée des Représentants du peuple et même croit-on savoir, l'envoi par le gouvernement d'une inspection sur place.
La Tunisie va dans tous les sens depuis quelques années, c'est un post-révolutionnaire compréhensible, logique, opaque et inquiétant aussi.
Pour les Modernistes que nous sommes tous, le projet sociétal à défendre est celui initié par Bourguiba et celui redouté est sans conteste celui des fondamentalistes notoires ou sous-marins. Revenus des terres d'exil, assoiffés de pouvoir, monnayés par les monarchies orientales méprisées de Bourguiba, ambitieux, calculateurs, leur premier souci a été de se faire indemniser des années de lutte et de répression. Comme si l'engagement politique avec tous les sacrifices que cela suppose est payant ou remboursable rétroactivement ou dédommageable. L'engagement social et politique ne pouvant être qu'un choix de lutte, d'évolution, de libération, d'avancée tous azimuts, désintéressé et patriote.
La Tunisie va mal économiquement et, les décideurs successifs, depuis 2011 et la chute de la dictature, n'ont fait que taper à toutes les portes des prêteurs internationaux jusqu'à plus possible. Jusqu'à l'asphyxie. Et depuis quelques années déjà, la question qui se pose très régulièrement et très clairement, concerne la masse salariale très élevée, la pénibilité de la garantir en l'absence d'une croissance avérée.
D'autant que le recrutement sauvage qui s'est fait de 2011 à 2014 et qui était de nature politique principalement a entraîné une hausse de près de 35% de la masse salariale selon un rapport du FMI ( janv 2018 ). Les augmentations de salaires exigées par l'UGTT ont, aussi, participé à cette hausse. Et à la Tunisie de se retrouver, toujours selon le rapport du FMI, avec une masse salariale qui représente les 2/3 des revenus fiscaux et plus de la moitié des dépenses de l'Etat dans un pays où il n'y a pas, politiquement, un vrai projet socio-économique, des investissements susceptibles de créer des emplois et de diminuer le chômage. Cela a un nom. Et cela s'est déjà vu ailleurs. Toutes proportions gardées en Ireland et en Grèce : la banqueroute.
Crise économique, grave crise politique, absence d'Hommes porteurs de projets, délitement social - l'union du passé existait "en vertu" de la répression et de la dictature certes, discutable donc - crise sociale, régionalisme et colère des régions oubliées depuis 60 ans, remous historiques et questionnement du passé, icônes déterrées, secouées, glorifiées ou lapidées. C'est selon.
Dans toute cette situation complexe et compliquée, angoissante et sans envergure, les impératifs perdent toute crédibilité pour tous ceux qui disposent encore d'une réflexion consciente et désormais il s'agit de traquer les non jeûneurs, de hurler au beau milieu de l'ARP, de s'insulter ou plus tragiquement, pour beaucoup de jeunes, de vouloir partir par désespoir et de se faire repêcher dans les eaux profondes gonflés comme des ballons de baudruche. Tragique. Point.
Pour toutes ces raisons, nous nous sommes donnés rendez-vous. Parce qu'il y a de la souffrance réelle chez bon nombre de Tunisiens conscients. Parce qu'il y a aussi de la détermination et quelques initiatives. Que le paysage politique actuel bipolaire avec tout ce que cela suppose comme dangers a besoin d'un point d'équilibre ou d'un espoir possible. Deux partis au pouvoir, ennemis, amis, amants. Nida et Nahda. Un fond de commerce : la Tunisie. Une matière première abêtie par 23 ans de benalisme : le Tunisien. Scolarité au vide abyssal, je survis, je travaillote, je fais l'acquisition d'une voiture populaire, pour les plus chanceux. Le seul mérite, c'est que c'était un projet. Mais de peu de valeur. Hélas.
Une photo choquante toute récente. YC fait son discours. M. Tout le monde attablé dans un café populaire jouait aux cartes. Zéro conscience.
Pour toutes ces raisons, nous avons voulu nous écouter les uns les autres. L'Union Civile avec Mounir Charfi et Féthi Jelassi. Le collectif Soumoud avec Nabil Ben Azzouz - le vieux râleur de gauche, comme il se définit lui-même, historien et professeur émérite qui forma bien des apprenants dont les miens - et le dynamique Houssem Hammi qui comme moi cherche une famille politique agissante, efficace et efficiente. Loin des partis. Des indépendants aussi étaient de la bande.
Mounir Charfi et Fethi Jelassi dans un souci méthodique de dispatching de la parole exposèrent le cadre de l'UC ( l'Union Civile ), ses composantes et ses objectifs.
Conglomérat de partis ? Non.
Parti ? Non.
Initiative ? Oui.
Une 3ème voie ? Oui et non.
Large brassage de partis qui seuls ne pèsent pas lourd. Des primaires sont envisagées. Un candidat. Des engagements avec signatures pour ne pas se présenter. Une couverture médiatique nationale et internationale.
Ai-je tout retenu ? Et les égos surdimensionnés des uns et des autres alors ? Et la faillite de la parole ? Et en politique, la confiance existe-t-elle ? Et à FJ de rappeler lui-même l'irrespect de l'ANC du délai imparti alors à l'écriture de la Constitution. Qui croire ? De l'angélisme que de faire confiance en politique. Quant aux signatures ... l'ère du pouce.
L'UC est une alternative. Cela est sûr. Et en neuf mois, elle a quand même plutôt existé. Reste que les célébrités locales qui la composent sont quelquefois sujets à caution. D'anciens RCD. Quelques renégats pour certains. Et des indépendants.
L'idée de l'UC est excellente aussi. Mais comment harmoniser tout ce monde ? Quelle fiabilité offrent Chebbi, Jomaa, Brahim, Morjane et autres figures de proue de la scène politique médiatisés à outrance et qui laissent désormais le Tunisien froid ?
Seuls, ils ne peuvent que vivoter. À l'intérieur de l'UC et en tant que bloc compact, ils peuvent prétendre à une existence intéressante à plus d'un égard :
Le Tunisien ne souffre plus les égos, ni les ambitions personnelles largement démasquées.
Le Tunisien devient viscéralement anti-parti avec les frasques des uns et des autres ces derniers mois.
Le Tunisien semble apprécier les indépendants et les récentes élections municipales, dans certaines circonscriptions du moins, ont laissé voir un crédit sympathie et un capital confiance intéressant.
Mais les indépendants font-ils la politique ? Et la logique de parti bien que profondément viciée n'est-elle pas encore et toujours, bon gré mal gré, une condition sine qua non pour un vrai travail de terrain et une existence politique efficiente ?
Les machines ont la vie dure et renaissent de leurs cendres.
À la question : quel intérêt a l'Union Civile à servir de tremplin à X ou à Y ?
Que lui ramènent l'accompagnement et le soutien du candidat A des primaires nécessaires ?
FJ parle d'une action démocratique pour torpiller le couple NiNa de plus en plus haïssable. Il avance aussi l'argument du besoin des uns des autres : ils ont besoin de nous autrement ils ne feront que grappiller des portions congrues insignifiantes. Nous leur offrons un cadre avec toute une logistique juridique et nous leur permettons une entrée dans l'arène en tant que force compacte.
De l'autre côté, il y a le Collectif Soumoud et le jeune quadra Houssem Hammi, vif, serein et prometteur clame fort la nécessité de miser sur les indépendants, les femmes et les jeunes. D'échapper aux noms sonores et trébuchants. Il propose un faire politique clair, propre et dénué de calculs. Une politique différenciée.
Et les caciques bien que méprisés aujourd'hui ne sont-ils pas des valeurs peu sûres mais jouables et re-jouables ?
Le moment est peu sûr, 2019 est aux portes, Nida est en pleine danse de la mort. Son possible regain le fera ressembler au parti du passé, le RCD. Son présent est laid et de nouveau les fils, les femmes et l'épicier du coin s'en mêlent. GRAVE.
De l'autre côté, la Nahda, forte de citoyens appauvris intellectuellement ( construction de longue haleine du régime Ben Ali. La médiocrité était érigée en programme national. Manger mais soyez bien bête. ) en comparaison surtout avec les 20 glorieuses de Bourguiba 55-75, forte d'un passé répressif qui fit d'elle une Victime ou la Victime, d'une non-participation à l'édifice Tunisie juste après la libération et bien que n'ayant aucun projet politique mais un obscur schéma mental fait de préjugés, d'interdits et de diktats aspire à brasser large et a brassé large avec son joli slogan " Talaa el badr alayna " qui fait appel aux plus basiques instincts et à ce qu'il y a de plus inerte en l'homme moyen : la bêtise.
Un monstre de laideur, de léthargie au pouvoir soporifique qui conforte les moins réactifs et les moins nantis intellectuellement d'entre nous. Nombreux.
La solution ?
Un mouvement d'union de tous, UC, Collectif Soumoud, indépendants, FEMMES et jeunes à l'attaque des coins les plus reculés de la Tunisie profonde avec un discours simple : vous méritez mieux qu'un couffin de provisions. Vous méritez de vivre et non de survivre. Vous, mais aussi, mais surtout, votre progéniture.
À l'orée du XXIème siècle.
2019 est aux portes.