Des allégations
diriez-vous ? Nous en convenons. Des allégations doublées de convictions
personnelles.
Le concept de non-ingérence dans
les affaires politiques d’un pays tiers est un concept creux. Le printemps
arabe l’est aussi. A ceci près qu’il l’est dans son déclenchement mais que son
évolution, elle, lui est propre et qu’elle mène son chemin dans les soubresauts
prévisibles.
Dans le même ordre d’idées,
l’évènement de la démocratie : une gestation difficile mais nécessaire
historiquement. Sur décision américaine mûrie, probablement, depuis longtemps, et, confortée dans son faire par l’échec de l’expérience américaine en Irak. Il en
sera autrement désormais : le projet démocratique du monde arabe se fera
sans intervention militaire américaine, avec son peuple et toutes ces
composantes, avec le retour de l’entité islamiste en exil, avec l’exercice de
toutes les institutions et avec une société civile qui a tout le potentiel de
s’inscrire en faux. Les Américains se sont « plantés » en Irak, on
n’impose pas, on ne greffe pas en usant de violence un modèle venu d’ailleurs,
sans être sûr de son imbrication possible, sans faire participer les premiers
concernés eux-mêmes : « les gens » du pays. La Tunisie sera le premier
laboratoire expérimental d’une FIV démocratique. Aux commandes, les islamistes
réintroduits chez eux parce qu’on peut guérir le mal par le mal, parce que le
pouvoir corrompt tout naturellement, parce que le pouvoir et l’argent sont
indétrônables, parce qu’il faut en décharger l’Occident et offrir à ces
ex-exilés et un espace d’action et une filiation aux concepteurs du projet qui
se fera d’elle-même de toute façon. Le monde arabe fera l’apprentissage de la
démocratie. Un chemin probablement long - sous l’œil américain bien entendu –
tumultueux mais jusque-là non sans intérêt.
Le choix de la Tunisie est un choix
stratégique, géostratégique, historico-stratégique. Les dimensions sociale,
culturelle, humaine s’y prêtaient également. La greffe était possible et les
intérêts américains à moyen et à long terme ne sauraient attendre. Le bain
démocratique en Tunisie est notre réalité d’aujourd’hui, du moment, de l’heure.
La « bête monstre » réprimée depuis des décennies est
« réhabilitée » chez elle, impliquée directement. Elle parle une
langue nouvelle, celle des accords, coût de la gouvernance. Bonne ou
mauvaise ? C’est ce qui reste à démontrer. Pour l’heure, ce qui échappe au
parti aux commandes, ce sont précisément ses hommes qui restent eux dans la
naïveté du discours originel loin de la politique politicienne.
Le tour de passe-passe a émis des
signaux et le clan Ben Ali-Trabelsi a été vertement tancé, des signes
avant-coureurs de disgrâce ont été envoyés mais ils n’ont pas su les décrypter.
Ils ont été jusqu’au défi dans l’aveuglement du pouvoir. Un tout petit exemple,
parlant en lui-même, les derniers mois du régime Ben Ali : "la dent" du pouvoir tunisien contre l’école américaine. Quand un pouvoir perd sa
perspicacité politicienne, quand il oublie que la souveraineté est malléable ( la realpolitik : dure réalité, bon gré mal gré ) quand il n’a ni
l’argent ni l’arme de discussion, il saute. C’est l’ordre du monde et tout
bêtement la loi de la jungle.
L’intérêt de ce nouveau
« faire » américain est qu’il a su tenir compte cette fois-ci des caractéristiques des pays en mal de démocratie. Il a su se dévêtir de ses atours de
cow-boy, de son lasso, de ses éperons. L’intérêt de l’expérience tunisienne est
le melting pot du tissu social et intellectuel. Il serait trop facile de ne
voir que deux camps : les conservateurs d’un côté et les démocrates de
l’autre. Il y a tous ces dégradés forts intéressants à voir et à étudier. Et
c’est probablement là qu’il y a à faire pour principalement faire passer
l’idée que modernisme et islam ne sont pas
antonymiques. L’intérêt du laboratoire démocratique tunisien est qu’il se fait
in vivo, ici et maintenant. Nous sommes directement acteurs et l’avenir sera à
la taille de nos actions. Il s’agit de faire réussir cette FIV en œuvrant pour
et en mettant tout en œuvre.
Rien n’est gagné. La société
civile, ses actions et ses réactions sont d’une importance capitale.
L’opposition, sa teneur, sa force
de conviction, son travail sur le terrain, ses prises de position seront
décisives. Enfin, le 4ème pouvoir sera le poids-clé dans cette phase
de transition. Sa liberté est indiscutable.
Le danger pour lui sera sa dépendance vis-à-vis de l’argent avec le projet de
privatiser les moyens d’information.
La culture démocratique se fera
surtout par l’éducation qui doit exiger d’être autonome, qui devra secouer tous
les jougs. Terrain glissant cependant.
Les mécanismes de la démocratie
ne s’installent pas en un jour, en un an. Il est fort probable que les quadras,
les quinquas ne verront pas de suite l’alternance des pouvoirs différents, le roulement démocratique varié.
Il faudra du temps et du
sur-terrain car on l’a vu le peuple tunisien manque d’argent et donc forcément
de recul, il manque de culture et d’éveil politique au vu de la jeunesse de sa
république et de son histoire (républicaine), il manque de lecture et de sens
critique.
Malgré tout et quand on arrive à vaincre
ses angoisses personnelles de vie et de mort, quand on oublie le passage du
temps, quand on fait face aux tentatives d’intimidation de ces étonnants hommes
à robe qui gagnent à trouver un emploi et une régularité de vie, quand on se
trouve à espérer – ou à deviner – que le report du prononcé du jugement
définitif du ridicule procès Nessma prévu le 3 mai - date de la journée
mondiale de la liberté de la presse – n’est pas pure coïncidence, et bien, dans
ces cas-là, on se rend compte malgré tout qu’il n’a jamais été aussi
intéressant de vivre en Tunisie et d’assister en direct à l’accouchement de
quelque chose.
Irons-nous jusqu’à dire merci
oncle Sam ?
Peu sûre. Car le résultat final
dépendra de notre implication, de notre engagement, de notre action, nous les
vrais démocrates, nous la société civile afin que nos enfants aient droit à la
modernité.