Lettre à l'Absent
I.
« Ai-je failli par trop d’amour ? Oui, par trop d’amour ? Ai-je failli par trop de rigueur ? Ai-je failli par trop de pouvoir ? Ai-je failli par trop d’existence ? Ai-je failli par trop d’analyses ? Par manque de distance. Oui, par manque de distance. La distance est bien utile. Pour l’assimilation, la mise en place, l’encodage, le retour.
Ai-je failli par trop de Beau ? Ai-je failli dans l’équation ? Ai-je failli dans l’infatigable esprit d’entreprise ?
Ai-je failli déjà ? »
II.
« J’ai trop d’orgueil. C’est l’orgueil qui est à incriminer. Et l’orgueil jeune est tenace. Je n’aime pas être infantilisé et les grandes histoires d’amour me font peur. Une peur panique. Je vois encore cette femme de mon enfance, grande et belle, intelligente et vive. C’était la plus belle et je l’aimais si fort. Aujourd’hui, cet amour est lourd à porter et elle doit le savoir. Voilà pourquoi.
Je sais tout d’elle et elle sait tout de moi. Jusqu’au tressaillement du sourcil. C’est trop d’intrusion. Elle tremble pour moi et je tremble pour elle mais très loin. Elle dit que je suis elle et je le suis. C’est très sage de partir dans le cas de trop de trop. »
III.
« Je rate tout et j’ai pris la résolution de réussir ou du moins d’un peu réussir. Je me rends compte depuis très peu de mon existence quasi in-vécue. Perdu dans des combinaisons ( in- ) signifiantes rapides, décollées, décalées, fausses et folles. Je suis fou et mon amie me le dit aujourd’hui. Elle a tout deviné et je n’ai pas joué franc jeu. Aujourd’hui, pour être en « harmonie » avec moi-même, je me convaincs que j’ai raison. Mais j’ai tort et je suis bête. Je ne vis pas selon ma nature. Voilà pourquoi tout est artificiel. »
IV.
« Elle m’appelle Mme Bovary et cela prête à équivoque. Laquelle ? La jeune Emma qui s’abreuve de romans à l’eau de rose et rêve de mondanités dépassant son rang ? La jeune épouse qui s’ennuie d’un mari malvoyant et mal dégrossi ? L’épouse dévouée saisie de culpabilité ?
Ces états d’Emma ne peuvent m’aller ni ceux qui suivront.
Sûrement la dévouée. Oui, oui la dévouée. Un choix. Parce que l’inverse est assez simple. La première pierre d’un édifice de vie aux multiples objectifs. Construire nécessite une vue claire. Et la clarté permet d’avancer et même de multiplier les démarches architecturales d’Ontos. Être au monde n’est pas laissé au hasard quand on veut édifier. Être au monde suppose de faire battre en retraite les glissantes et de veiller aux garde-fous. L’alibi Vie est vide de signifiances. Donnez-moi de l’Authentique et je redeviens architecte ontologique par amour des édifices, par désir de durer et par connaissance des airs multiples de la souriante Voltige. »
V.
« Sur le chemin qui me mène vers ma clairière de prédilection, j’ai trouvé un bel enfant seul. Quand il me dit son égarement, je fus solidaire. Un égarement pas si éprouvant au final. Je le pris par la main et le remit à sa génitrice désemparée.
- Gardez bien votre enfant et protégez-le, lui dis-je.
Un regard inquiet et de la maladresse éducationnelle.
- Bel enfant, n’allez plus si loin de chez vous. Votre place est ici.
- Je voulais juste flâner mais j’aime ma maison.
Sourires.
- Bel enfant, la découverte du monde a ses lois
Me voilà arrivée à ma clairière, elle a la tranquillité des espaces sauvages. »