Thouraya Ben Chaâbane est partie. Pourtant, elle avait beaucoup à vivre encore et elle aimait tant la vie. Je l'ai connue à la faculté, une jeune fille douce et souriante. Petite blonde aux cheveux longs et soyeux et au sourire malicieux. Elle était sensible et le resta probablement jusqu'à la fin. Cette mort du milieu de vie est difficile à encaisser. Elle n'avait pas déjà vécu que la voilà partie. Elle aimait Eluard, la grande chanson arabe, la culture et les livres. Elle aimait l'amour. Et tellement d'autres choses aussi.
Sa mort exige de moi que je parle de très près de la profession de professeur. Thouraya Ben Chaâbane était professeur. Plus de 25 ans de métier, avec amour et abnégation, sérieux et rigueur. La jolie jeune fille de la fac céda la place à la femme, la pédagogue qui aimait ses élèves et son métier.
Mais quel métier ! Un métier valorisant mais harassant, noble mais usant, rigoureux, prenant mais épuisant. Un métier tellement beau mais tuant. TBC a travaillé sa courte vie sans compter, elle a donné sans regarder. Je pense, aujourd'hui, que sa mort prématurée, au regard de son âge, vient aussi de là. Et pour cette raison, j'évoquerai la pénibilité de cette profession.
Thouraya Ben Chaâbane a enseigné à Carthage Présidence, un établissement avec vue imprenable sur la mer. Mais des classes bondées : 40 élèves, voire plus. Elle enseigna jusqu'en 2017 à la Marsa, des classes de 40, de 30 pour les Terminales puisque la loi limita, il y a quelques années, le nombre d'élèves de Terminale à 30. La Marsa, mais allez voir les conditions de travail ! Il y a une dizaine d'années, à la Marsa justement, le dispositif d'électricité pendouillait au sol en pleine période de pluies diluviennes. Et un apprenant faillit y perdre la vie.
Des classes de 40 ou de 30 pour un enseignant consciencieux ne sont pas une sinécure. TBC était consciencieuse et elle s'épuisa au travail. Les rentrées scolaires du 15/09 étaient éprouvantes pour les personnes fragiles et nous l'étions nombreux.
L'enseignement est un programme, une cadence, des démarches pédagogiques nombreuses, adaptées souvent. L'enseignement c'est du pas à pas dans la passation de la connaissance, de la vérification de ce qui s'est inscrit, de l'évaluation, de la correction, du compte rendu, de la note, du bonus contre travail pour les plus défavorisés du savoir et les plus méritants.
Oui, tout cela et plus encore : les préparations à la maison, les centaines de textes, tapés, imprimés, distribués, expliqués, contextualisés, repris, discutés, continués ...
Note biographique, chapeau introductif, type, genre, registre du texte, lecture en filigrane, au second degré, impact des événements historiques sur l'auteur ...
La classe bouillonne, un enseignant se lève, circule, écrit, efface, vérifie, sermonne, gratifie et valorise tout ce beau monde dans une atmosphère de bruits, de concentration, de déconcentration, de dépassements, d'excès, de rupture, de retour ...
Je me souviens de l'épuisement de bon nombre d'entre nous, de surmenage, d'hypertension, de burnout, de déprime ...
L'enseignement est un métier de 7 ans tout au plus, un métier de 12h par semaine, un métier où l'on doit être accompagné en début de carrière, un métier où le professeur chevronné arrête d'enseigner pour devenir formateur ou accompagnateur des enseignants débutants, un métier sous-payé où très rapidement la santé se détériore, le tout dans un système sclérosé où les réformes sont craintes, où rien ne se fait d'une façon dynamique, où la liberté pédagogique existe peu ou est mal comprise. Sous Ben Ali, bien que de nombreuses personnes critiquaient le système de la semaine bloquée, la réforme n'était pas venue : politiquement cela faisait peur.
Un métier noble que l'enseignement et c'est vrai mais la noblesse seule n'a aucun sens. Un métier pénible et pour ceux qui en doutent encore, essayez deux heures par jour avec vos enfants et les choses seront claires alors.
Bien sûr le propos concerne les vrais enseignants, les rigoureux et les honnêtes, ceux pour qui comptent tous les élèves de la classe. Ceux qui rentrent chiffonnés parce que cela s'est mal passé avec le silencieux du coin ou l'agressif de derrière et qui se promettent d'y remédier le lendemain.
T. Ben Chaâbane était de ceux-là, je le crois, je le sais. Sa santé fut souvent défaillante en raison de son implication effective en tant qu'enseignante consciencieuse. Elle donna sa courte vie à l'enseignement et je ne suis pas sûre qu'il le lui rendit, justement.
Nous pleurons une amie et une collègue, partie on ne sait trop pourquoi, rapidement et méchamment. Je pleure tout ce qu'elle fut et tout ce que nous sommes : des êtres fragiles qui donnons de notre vie aux autres , qui faisons de l'avancée des autres notre bonheur, qui offrons sans regarder savoir et structure.
Paix à toi Thouraya, tu fus tellement rieuse, pleine de vie. Et avec ton accord, cette belle réplique de toi, que tu as tant fait grandir, de temps, de mots et d'amour, que tu as fait avancer, toi, la Femme libre, indépendante et cultivée, Yasmine mon arrière petite cousine, sera aussi un peu ma fille, la proche des miens et l'amie de mon fils.
Ton départ est douloureux Thouraya.
Sa mort exige de moi que je parle de très près de la profession de professeur. Thouraya Ben Chaâbane était professeur. Plus de 25 ans de métier, avec amour et abnégation, sérieux et rigueur. La jolie jeune fille de la fac céda la place à la femme, la pédagogue qui aimait ses élèves et son métier.
Mais quel métier ! Un métier valorisant mais harassant, noble mais usant, rigoureux, prenant mais épuisant. Un métier tellement beau mais tuant. TBC a travaillé sa courte vie sans compter, elle a donné sans regarder. Je pense, aujourd'hui, que sa mort prématurée, au regard de son âge, vient aussi de là. Et pour cette raison, j'évoquerai la pénibilité de cette profession.
Thouraya Ben Chaâbane a enseigné à Carthage Présidence, un établissement avec vue imprenable sur la mer. Mais des classes bondées : 40 élèves, voire plus. Elle enseigna jusqu'en 2017 à la Marsa, des classes de 40, de 30 pour les Terminales puisque la loi limita, il y a quelques années, le nombre d'élèves de Terminale à 30. La Marsa, mais allez voir les conditions de travail ! Il y a une dizaine d'années, à la Marsa justement, le dispositif d'électricité pendouillait au sol en pleine période de pluies diluviennes. Et un apprenant faillit y perdre la vie.
Des classes de 40 ou de 30 pour un enseignant consciencieux ne sont pas une sinécure. TBC était consciencieuse et elle s'épuisa au travail. Les rentrées scolaires du 15/09 étaient éprouvantes pour les personnes fragiles et nous l'étions nombreux.
L'enseignement est un programme, une cadence, des démarches pédagogiques nombreuses, adaptées souvent. L'enseignement c'est du pas à pas dans la passation de la connaissance, de la vérification de ce qui s'est inscrit, de l'évaluation, de la correction, du compte rendu, de la note, du bonus contre travail pour les plus défavorisés du savoir et les plus méritants.
Oui, tout cela et plus encore : les préparations à la maison, les centaines de textes, tapés, imprimés, distribués, expliqués, contextualisés, repris, discutés, continués ...
Note biographique, chapeau introductif, type, genre, registre du texte, lecture en filigrane, au second degré, impact des événements historiques sur l'auteur ...
La classe bouillonne, un enseignant se lève, circule, écrit, efface, vérifie, sermonne, gratifie et valorise tout ce beau monde dans une atmosphère de bruits, de concentration, de déconcentration, de dépassements, d'excès, de rupture, de retour ...
Je me souviens de l'épuisement de bon nombre d'entre nous, de surmenage, d'hypertension, de burnout, de déprime ...
L'enseignement est un métier de 7 ans tout au plus, un métier de 12h par semaine, un métier où l'on doit être accompagné en début de carrière, un métier où le professeur chevronné arrête d'enseigner pour devenir formateur ou accompagnateur des enseignants débutants, un métier sous-payé où très rapidement la santé se détériore, le tout dans un système sclérosé où les réformes sont craintes, où rien ne se fait d'une façon dynamique, où la liberté pédagogique existe peu ou est mal comprise. Sous Ben Ali, bien que de nombreuses personnes critiquaient le système de la semaine bloquée, la réforme n'était pas venue : politiquement cela faisait peur.
Un métier noble que l'enseignement et c'est vrai mais la noblesse seule n'a aucun sens. Un métier pénible et pour ceux qui en doutent encore, essayez deux heures par jour avec vos enfants et les choses seront claires alors.
Bien sûr le propos concerne les vrais enseignants, les rigoureux et les honnêtes, ceux pour qui comptent tous les élèves de la classe. Ceux qui rentrent chiffonnés parce que cela s'est mal passé avec le silencieux du coin ou l'agressif de derrière et qui se promettent d'y remédier le lendemain.
T. Ben Chaâbane était de ceux-là, je le crois, je le sais. Sa santé fut souvent défaillante en raison de son implication effective en tant qu'enseignante consciencieuse. Elle donna sa courte vie à l'enseignement et je ne suis pas sûre qu'il le lui rendit, justement.
Nous pleurons une amie et une collègue, partie on ne sait trop pourquoi, rapidement et méchamment. Je pleure tout ce qu'elle fut et tout ce que nous sommes : des êtres fragiles qui donnons de notre vie aux autres , qui faisons de l'avancée des autres notre bonheur, qui offrons sans regarder savoir et structure.
Paix à toi Thouraya, tu fus tellement rieuse, pleine de vie. Et avec ton accord, cette belle réplique de toi, que tu as tant fait grandir, de temps, de mots et d'amour, que tu as fait avancer, toi, la Femme libre, indépendante et cultivée, Yasmine mon arrière petite cousine, sera aussi un peu ma fille, la proche des miens et l'amie de mon fils.
Ton départ est douloureux Thouraya.