Am Si El Amin.
Il était emmitouflé dans son burnous, au coin du grand salon,
parlait peu et en réalité opinait de la tête ou grimaçait en grinçant de la mâchoire.
Il était dans un de ses mauvais jours et
il valait mieux le laisser en paix jusqu’à ce que cela passe. En paix ? En
ruminations plutôt.
Est-ce de son passé de fils, d’homme, de père ? Un
terrain sur lequel nul ne s’aventurait si ce n’était lui-même, les jours
heureux.
De son passé d’homme et ce n’était qu’elle. La plus grande de ses sœurs, effilée et
gracieuse et pourtant l’époque était aux grasses. De grands yeux verts veloutés
et ensorcelants bien qu’elle soit très sérieuse et peu expansive. Elle-même l’aima
en silence même si, celui qui lui fut destiné, la combla de soieries et de
contrées lointaines. Rien n’y fit, que deux enfants et une sensualité vite
refoulée. On ne peut aimer un homme qui, tous les jours de la vie, se levait de
lui-même à trois heures du matin, promptement, pour aller amasser de la fortune.
L’histoire de toute une région d’oliveraies.
Il ruminait loin, très loin. A qui la faute si cela ne fut pas
possible ? A sa tante ? A la parenté ? A la fortune ? A
lui-même, quand il soupesa l’ampleur de l’implication ? Parce qu’aimer c’est
s’aimer ?
Et quand on viendrait à trop donner de soi, de surcroît sur
la durée et maintenir l’effort, et bien … le prix est assez élevé.
Il faut dire que la tante s’en vexa à vie. Elle mit cinq
filles au monde – certes très belles - et deux fils beaux, forts et sûrs. Mais, cela fut un début de vie pénible et beaucoup de peur. Et la belle-sœur qui la
sortit sans ménagement aucun, elle qui mit au monde dix fils peut-être et une
fille unique : « Ses expulsions à Lé Kébira sont féminines ! »
un ton aigre-doux et un sourire narquois.
Et elle fut dite et entendue, fit mal mais surtout mit en
colère : « Aucune de mes filles ne partagera sa couche avec "ses fils" ».
Ce fut dit et appliqué et les relations familiales recèlent, quelque part,
toujours, de cette guerre des utérus, quatre générations après.
Et pourtant, lui, est un cousin au second degré, par
conséquent peu impliqué. Mais le courroux de la Mère, son rejet définitif
concerna toute la famille paternelle dût-elle accorder les mains de ses filles
à des « étrangers ».
Une deuxième injustice – bien que … - après celle d’un père
qu’il ne connut jamais et qui l’eut à plus de soixante-quinze ans comme il
aimait à le raconter en riant les jours de soleil.
Il n’y était pour rien. Un coup des autres, et le lui dit
hier, entre autres. Il se pencha sur elle, la maison grouillait d’invités, elle
était alitée dans un petit salon contigu, elle voyait peu depuis quelques
années, le diabète familial et la perte d’un regard célèbre en raison d’épaisses
lunettes atroces et haïes.
- « Vous restez pour moi, Lé Ess, élégante et effilée, belle
comme personne. Je vous vois encore comme hier, comme si rien n’avait changé et
là que je vous parle – et il porta sa main à sa poitrine – j’ai encore le même
bonheur ».
Et pour lui asséner un dernier coup, il caressa ses cheveux
fins ou le peu qui en restait. Elle en pleura, doucement. Des mots forts,
inespérés, cruels parce qu’ils sonnent le glas de toute une vie.
On ne fait pas cela à une dame qui fut splendide, qui perdit
la vue ou presque et qui n’eut sa vie conjugale durant que quelques brefs
instants de plaisir - de plaisir ? Peut-être. - qu’elle ne sut pas apprécier parce que
silencieux, rapides, inexpliqués et tus. Parce que la vie et l’amour sont
surtout une affaire de rythme, d’écoute de l’autre et d’harmonie.
Peut-être qu’Ils le comprendront mieux aujourd’hui parce qu’il
fait partie de ceux-là qui n’eurent pas le bonheur de se fondre dans les bras
de l’être aimé.
( A suivre. )